jeudi 10 juillet 2008

L’esthétique de l’image dans

L’esthétique de l’image dans
« La Morsure du citron » (1) de Jean François-Amiguet


L’aveugle est quelqu’un qui a les yeux au bout des doigts
Luis BORGES

I. Pour introduire :

Né en 1950 à Vevey, Jean François-Amiguet a réalisé, depuis 1994, une série de films qui varient en durée (court et long) et en genre (fiction et documentaire), dont « La jacinthe d'eau » (1978), « L'écrivain public » (1993) …

L’argument de « La morsure du citron » (court métrage, 2007) se résume dans l’idée qu’un comédien, plein de vie, apprend qu’il va perdre la vue. Par là, le réalisateur pose, à travers la cécité, la question fondamentale du statut de l’être et de l’image.



II. La technique du photogramme :


A. Le récit :
1. la photographie:
De 26 minutes, le film est une série d’images photographiques, qui se suivent selon un rythme varié, que le réalisateur adopte selon les contraintes de la narration. Tantôt lent, il permet au spectateur de se plaire en regardant l’image, comme cadre matériel, en ce que celui-ci désigne les contours d’une réalité. Tantôt accéléré, ce rythme favorise plutôt la contemplation, dans la mesure où l’on est porté par le mouvement que cela crée. L’image fixe devient cela même qui garantit le cinéma. D’autant plus que le réalisateur recourt à des techniques d’illusion, comme le zoom avant-arrière ou le travelling.
Ces fragments fictionnels constituent, de ce fait, un récit où se réunissent tous les ingrédients d’une intrigue, à savoir les personnages (le comédien (Larsen), le médecin, ses amis, le barman), les lieux (cabinet, bar, place publique, passages souterrains).



2. Une logorrhée expressive:
Cette fictionnalisation iconique, elle est soutenue par un texte où le moi se met à nu. En effet, une voix off accompagne le défilement des images en leur conférant logique et harmonie. Ce texte se présente sous la forme d’un monologue polyphonique, car il englobe en lui-même le discours d’autrui, comme le dialogue :


« Docteur, c’est vrai ce que j’ai ?
C’est vrai que c’est à moi que ça m’arrive? ».

Parlant de la trame narrative dans le court métrage, Jean François-Amiguet cite trois constituants : l’exposition, la perturbation et le dénouement. « La Morsure du citron » obéit largement à cette conception. La première phase correspond à une présentation de Larsen menacé par la cécité. La seconde est une série de réactions ou d’affects. La troisième, c’est une prise de conscience.

3. Une pensée psycho-philosophique :
Or, ce texte est une sorte d’introspection, dans la mesure où il permet au récepteur de connaître les sentiments du sujet victime de la cécité, ponctuée de peur, de doute et des souvenirs. Cette perte de la vue amène un tel sujet à mettre le doigt sur l’essence même de l’image. Car, qu’est-ce que voir, en fin de compte ?
Faute de lumière, qui est le pivot de toute activité visuelle, le narrateur s’ingénie à se remémorer le passé : les jeunes en fleur qu’il a connues, les lieux qu’il a habités… C’est dire combien, dans ce cas-ci, il est fort difficile de restituer un « morceau de vie » au moyen d’une image mentale. Les souvenirs si colorés, si parfumés et si bruyants ne sont point des « images nettes », en ce que ceux-là sont la négation même du regard. En recourant à d’autres sens, l’aveugle devient cette « partie » qui est appelée à comprendre le « tout » – dans le double sens du terme : un homme qui porte en lui le monde.



B. Les fonctions de la lumière :
Cette expérience des limites est une sorte de traversée tragique menée par le narrateur. Jean François Amiguet procède par un travail sur les lieux et la lumière. D’abord, le film met en scène deux « couleurs » à la fois symboliques et dramatiques : le noir et le blanc. Et tel le personnage principal, le spectateur fait l’expérience de la cécité, puisque c’est le noir qui l’emporte sur le blanc. Cet exil vers l’intérieur, il est représenté par une série de lieux clos, sombres et labyrinthiques, qui rappellent, sans doute, la descente aux Enfers : tunnels.


C. Un aveugle heureux :
Jean François-Amiguet recourt à une sorte de machine narrative assez rare qui permet de décrire au détail près un univers clos d’un homme qui sombre dans le monde des ténèbres.
Or, Larsen est un acteur, c’est-à-dire quelqu’un qui « aime la vie », comme il le dit lui-même. Loin de se soumettre, il s’efforce de se faire un autre « regard » qui, euphoriquement, prend racine dans son for intérieur. C’est une lumière idéale qui a l’avantage de contrecarrer toutes les affres de l’obscurité et de l’agonie. Car, pour citer le film en le déformant, « ne plus voir, c’est [mourir] un peu » : être impliqué dans un temps plat. Tel Sisyphe, qui a pu prendre conscience des manigances des dieux, Larsen est un aveugle heureux.

Le paradoxe du film, c’est qu’il permet une réflexion sur le rapport assez dialectique de l’ombre et de la lumière et, partant, de la photographie et du cinéma. Tel l’homme, l’image contient notamment deux éléments complémentaires et apparemment contradictoires : noir-et-blanc. Le noir de la cécité et du cadre est cela même qui permet de lire ce qui est illuminé, de même que la lumière permet d’écrire le processus de l’obscurité.

III. Pour conclure :
En se servant d’une couleur radicale, présente dans toutes les formes artistiques (photo, peinture, cinéma), Jean François Amiguet laisse entendre, tel pierre SOULAGES, que le noir est cela même qui fait jaillir la lumière, qui est, en fin de compte, une sorte de triomphe que l’homme remporte sur l’avant-naissance, la cécité et la mort.




Bouchta FARQZAID







































Marges :
1. Ce film a été projeté en séance d’ouverture lors de la 4° édition du court métrage méditerranéen à Tanger.
2. « photo- » = lumière et « graphie » = écriture

Aucun commentaire:

Textes disponibles

Comment avez-vous trouvé l'article?

Powered By Blogger