mercredi 11 juillet 2007

8. « Sans toit ni loi » ou l’errance absurde

Le ciné-club de Khouribga a projeté, à l’Occasion de la Journée mondiale de la Femme, en collaboration avec l’Organisation Marocaine des droits de l’Homme, un film de la réalisatrice française Agnès Varda « Sans toit ni loi », et ce le 25 ramadan 1993.
Le film en question a été produit en 1985 par Ciné-Tamaris, films 2, le ministère de la Culture, et a eu le prix du Lion d’or, la même année, à Venise. Le scénario a été « écrit en grande partie au fur et à mesure du tournage » (Première).

A. Filmographie d’Agnès Varda :
a) La Pointe courte (1954)
b) Clés de cinq à sept (1961)
c) Le Bonheur (1965)
d) L’Une chante l’Autre pas (1971)
e) Ulysse (1982)

B. Flash :
La civilisation occidentale où la technologie atteint, de plus en plus, son paroxysme, a été fondée sur un concept-clé : le sédentarisme. La construction de la cité « policée » est, historiquement parlant, à l’origine d’un très grand nombre de règles-contraintes élaborées en matière d’éducatrion(s) aspirant à la chosification de l’individu en le privant, de sa liberté ou du moins en les canalisant. C’est aussi une canalisation des rapports humains suivant une volonté qui est, pour l’homme concret, « transcendantale ». Impossible de respirer en dehors de l’engrenage tracé par cette force cachée.
Toutefois, des graines « primitives » sont toujours susceptibles de se développer et même bourgeonner chez l’homme sous l’effet de certaines conditions psychiques-individuelles ou historiques. C’est ce que semble être le sort de Mona (interprété par Sandrine Bonnaire), personnage principal du film « Sans toit ni loi ».

C. Espace des marginalisés :
Mona, une jeune fille, se trouve morte dans un fossé un jour de froid, loin de la ville, au milieu de la campagne. C’est ainsi que le récit filmique s’ouvre et que l’enquête - non juridique, mais celle de la caméra-narrateur, du spectateur et des personnages s’en souvenant - est entamée réalisant pour cela une rétrospection afin de reconstituer les faits conduisant Mona à un tel sort.
Le spectateur se trouve déjà impliqué dans un l’univers fictif du film du moment qu’il commence à se poser des questions de type : qui est cette fille ? S’agit-il vraiment d’un crime, ou d’un suicide ? Quels en sont les motifs ? …etc. Toutes les informations avancées du début jusqu’à la fin du film sont soit des témoignages des certaines personnes qui fait la connaissance de la victime (le professeur, le berger, l’immigré…) soit des déclarations propres à celle-là concernant son passé ou sa vie en ville.
Or, ces dernières informations sont brèves ou rarissimes. Ainsi, le spectateur n’en sait que ce qu’il voit, ce qui se déroule devant lui. Et que voit-il donc ?
Une jeune fille vêtue d’un pantalon-jean et d’une jaquette qu’elle ne change jamais- très sales d’ailleurs- avec un sac-à-dos.
Elle s’appelle Mona. Elle habitait la ville. Elle y a fait des études (Bac. G1). Mais, pourquoi a-t-elle renoncé à tout cela ? Le récit garde un silence total. Ce personnage à problèmes est hanté par le désir de se déplacer sans cesse et de mener une vie de nomade, à sa guise : monter la tente dans un cimetière, près de la vieille fontaine, dans un champ de vignes. Bref, n’importe où, là où son désir le lui dicte.
L’espace de ce nomadisme ou de cette errance est bel et bien la campagne- thème ô combien cher aux romantiques. A ce propos, une remarque est à faire. En effet, la campagne et la forêt sont dans la littérature romantique, sont cela qui est l’antidote de la ville.
Ces premiers sont le lieu du repos, du calme, de la sérénité et de la liberté. C’est aussi le lieu par excellence de la contemplation et de la communication avec un au-delà source d’espoir et de consolation. La ville est au contraire un espace de routine, de bruits, d’ennui et de spleen, disait Charles Baudelaire.
Dans le film, l’image romantique – voire idyllique- de la campagne (nature) est inversée, en ce qu’elle est, outre le froid, symboliquement et durement mortel, qui y domine, le lieu privilégié des parias et les « marginalisés », qui ne sont que :
1. Mona (la Française)
2. David (le Juif)
3. Assoun (le Tunisien)

Et le moyen qui permet la transition d’une « vie-en-marge » à une « autre-vie », c’est la « marge » elle-même : Mona. C’est grâce à elle, en tant que signe mouvant non en tant que personne, que la caméra – voire le spectateur- accède à la vie très dure des immigrés et à celle de David, contraint à une errance infinie ! Ainsi, trois figures (Mona, David, Assoun) sont frappées du même sort : l’errance et l’exclusion. Une destinée commune, semble-t-il.

D. Le dénouement :
Il est à remarquer que la mort de Mona, qui a lieu dans un fossé, est fort symbolique, d’autant qu’elle vient juste après la scène rituelle : le passage du personnage par le petit village et où on l’oint d’une couleur de terre ocre. N’est-ce pas là une sorte d’initiation au sacrifice ? Ou bien une préparation au retour au ventre de la mère, lieu de chaleur et de protection contre le temps qu’il fait ? S’agit-il d’une fuite d’un virus importé qui ronge les arbres (signes de vie) de l’intérieur ?
Or, il y’ a lieu aussi d’voir à l’esprit que les initiatives individuelles – surtout absurdes et irrationnelles- sont presque toujours gâchées alors qu’elles sont en gestation. Face à l’intolérance de la ville (Cité !), Mona a choisi d’errer. D’où son échec : d’abord, communication difficile ; puis, un isolement ; enfin, la mort.
Le spectateur n’a qu’à se référer à la littérature à « héros problématique » (Lucien Goldmann, Claude Duchet) pour avoir une idée sur le sort de certains personnages de ce genre : Don Quichotte, Madame Bovary, Gervaise, …entre autres.




Bouchta FARQZAID

Libération, Dimanche-Lundi, 28/29 Mars, 1993

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