Le cinéma burlesque :
« En attendant Pasolini » de Daoud Ouled-Syad (1)
« La verità non sta in un solo sogno ma in molti sogni »
Les mille et une nuits, de Pier Paolo Pasolini
0. En guise de présentation :
Il est indéniable que, sur la scène cinématographique marocaine, Daoud Ouled-Syad est l’un des réalisateurs les plus inventifs. Ses premiers films en témoignent : « Le cheval du vent » (2002), « Adieu forain », « Tarfaya Bab Labhar ». Ce brio s’explique par le fait que ce jeune réalisateur est d’abord un bon photographe.
Réalisé en 2007, « En attendant Pasolini », a certainement une valeur ajoutée, par rapport aux films précédents, en ce qu’il traite le rapport si épineux de la fiction et de la réalité ou tout simplement l’articulation du cinéma et du quotidien. Engagé, au sens artistique, Daoud Ouled-Syad sait donner du sens grâce à un regard à la fois réaliste et satirique. De ce fait, son souci, semble-t-il, est de donner à voir une matière tout en instaurant une certaine distanciation, à l’instar de Brecht dans le théâtre et du cinéma italien.
I. Une mise en abyme : le thème du cinéma :
Comme l’a souligné Daoud Ouled-Syad à maintes reprises, le cinéma a toujours constitué, pour lui, un sujet de prédilection. C’est pourquoi, le documentaire que Ali ESSAFI a réalisé sur les figurants de Ouarzazate l’a tellement touché qu’il a décidé de réaliser une « fiction » autour du même motif, en faisant appel à un scénariste distingué, son préféré Youssef FADEL. Cut : En attendant Pasolini.
Ce thème cinématographique se manifeste dans l’évocation d’une grande figure du cinéma italien, à savoir Pier Paolo Pasolini (2) : un film (Œdipe-roi) et une image (poster-substitut à qui s’adresse Thami avec véhémence). Un « homme de bien », comme le répète la chanson, ce réalisateur se transforme en un personnage mythologique, puisque Thami fait croire aux villageois que son ami d’il y a quarante ans est de retour. Tel le cinéma, ce mensonge a pour fin de secouer les esprits et de faire rêver les gens et leur donner espoir. Mais à la différence de ce Godo beckettien que l’on attend et qui ne vient jamais, Pasolini est celui même qui fait bouger les choses et les êtres : on se réveille tôt, on se réunit, on sélectionne, on passe au casting, on apprend l’italien, on construit d’autres chambres, on gagne de l’argent et on fait la fête. Ainsi, cette image d’ouverture, où le réalisateur met l’accent sur le vide de du paysage et sur le vent qui souffle, est comme dépassée par le reste du film. En effet, l’arrivée du cinéma – par personnification – est annoncée sous les signes de la fête. A ce propos, tout se passe comme si Daoud Ouled-Syad annonçait déjà la couleur de son film, qui s’inscrit, en gros, dans la tradition burlesque.
Le cinéma est traité également à travers le rapport que « En attendant Pasolini » entretient avec d’autres films. Ce rapport est soit explicite, comme avec « Œdipe-roi », soit implicite, comme le cas du film de Ali ESSAFI. Cet intertexte (3), s’exprime parfois dans des citations fort intelligentes, qui constituent un clin d’œil à d’autres corpus. Il est loisible de les classer ainsi :
Citation dans « En attendant Pasolini »
Film où le procédé est déjà utilisé
Le microphone qui trahit un secret « Kit-kat » de Daoud Abd-Syad
Faire dérouler des images dans une boîte « Bahib cima » (J’aime le cinéma) de Oussama Fawzi
Le casting « La Boite magique » (4)
… …
Citation dans « En attendant Pasolini »
Film où le procédé est déjà utilisé
Le microphone qui trahit un secret « Kit-kat » de Daoud Abd-Syad
Faire dérouler des images dans une boîte « Bahib cima » (J’aime le cinéma) de Oussama Fawzi
Le casting « La Boite magique » (4)
… …
Grâce à ces motifs cinématographiques, le spectateur accède non seulement au monde réel des figurants, mais également à l’univers des studios de Ouarzazate et, partant, à celui de certaines fictions du septième art. Telle une chambre d’échos, le film de Daoud devient cet espace même où les cinémas du monde se répondent.
II. Un cinéma burlesque :
Rien de plus amusant, chez Daoud Ouled-Syad, que ce penchant – comme infantile et naturel – de désamorcer le côté dramatique de la réalité prosaïque en recourant au procédé de la satire. Nombreux sont les personnages et les situations qui illustrent une telle idée. Pour s’en convaincre, il y a lieu d’en citer quelques exemples. Le Fqih est un homme de religion, mais il a une telle passion pour les femmes qu’il finit par tromper son ami en lui proposant d’aller à la Mecque. Aussi, le metteur en scène se plait à abolir les frontières de la fiction et de la réalité en mélangeant les registres. Que de plaisir de remémorer cette scène des figurants, jouant des soldats dans un film romain, et qui, lors d’une pause, se joignent à un cortège funèbre en psalmodiant des phrases en arabe. Ainsi, la superposition de la langue arabe et de l’accoutrement romain crée une sorte de décalage dont la conséquence principale est le comique. Une autre scène mérite aussi d’être signalée. Figure de la censure, le mokadem, sous la tutelle du caïd, ordonne au réalisateur du film « La Bible » de supprimer toutes les répliques jugées inadéquates. Cela signifie que le cinéma est, sans contestation, l’art du possible et de l’impossible.
Plus que gags, ces situations burlesques témoignent, chez Daoud Ouled-Syad, moins d’un désir de narrer que d’une volonté de montrer – c’est-à-dire donner à voir.
III. Une critique de la réalité :
Ce regard scrutateur n’est pas pour autant neutre. Daoud Ouled-Syad opte pour une vision ironique, dans la mesure où il met en scène des bribes de vie non seulement pour que l’on en rie, mais que l’on soit à même de les évaluer. Derrière leur grandeur, que, très souvent, l’écran nous donne à voir, il faut savoir lire également la misère de ces figurants de Ouarzazate. Faisant preuve des prestations époustouflantes dans des films internationaux, dont « The Jexel of the Nil » de Lewis Teague, « Kundun » de Martine Scorsese, « Cléopâtre » de Frank Roddam et « Gladiator » de Ridley Scott, ces comparses sont exposés au risque de leurs condition fragiles : tournage des films, corruption ( la somme d’argent que l’on verse au mokadem dépend de l’importance du rôle que l’on joue dans un film).
IV. Pour conclure :
Engagé, le cinéma de Doaud Ouled-Syad rend hommage à la fois au cinéma italien, à travers Pasolini, et au cinéma marocain, grâce à des figurants, qui ont contribué infailliblement à la réussite d’un bon nombre de films étrangers.
Au reste, le réalisateur a pu extraire de cette réalité prosaïque toutes les beautés des hommes et des choses.
Bouchta FARQZAID
Notes :
1) Ce film a remporté le prix du « Grand film arabe » au Festival international du Caire et l’ « Ousfour d’or » de Safi, lors de la sixième édition.
2) Ecrivain, scénariste et réalisateur italien (1922-1975) : L'Évangile selon saint Matthieu en 1964, Œdipe-roi en 1967, Contes de Canterbury en 1972, Mille et une nuits en 1974…
3) Gérard GENETTE, Palimpseste, Paris, Seuil, 1992. Cf. p. 8 où ce critique définit l’intertextualité comme « relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire éidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre ». Citation, plagiat, allusion sont quelques modes d’actualisation d’un tel rapport de l’hypertexte et de l’hypotexte. Le film de Fouzi BENSAIDI "What A Wonderfull World" en est fort illustratif.
4) Il s’agit d’un film italien où le personnage principal, à la demande d’un réalisateur, fait le tour de l’Italie pour choisir des futurs comédiens. Partant, il découvre tous les paradoxes que recèle ce beau pays.
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lundi 29 décembre 2008
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