jeudi 10 juillet 2008

« Music Box » : un film politique ?

« Music Box » : un film politique ?

Le ciné-club de Khouribga a clos ses activités, pour l’année 1993, par la projection d’un film de Costa Gavras, à savoir « Music Box », sorti en 1990.

Ce long métrage raconte l’histoire d’une avocate américaine qui, un jour, se trouve bouleversée par une nouvelle parvenant du service secret américain, selon laquelle, son père, d’origine hongroise, est accusé d’avoir été, en 1994, un criminel de guerre, un fasciste qui a atrocement torturé et exécuté des Juifs.

En effet, c’est par le biais du dialogue que certains faits sont remémorés et réactualisés, tels : faire faire la pompe aux Juifs sur des « baïonnettes » fixées au sol ; les attacher au moyen des fils barbelés et les jeter vivants dans un fleuve ; violer des jeunes filles en fleur ( 16 ans)…

Hormis ces analepses linguistiques, l’intrigue du film est cinématographiquement linéaire.

Terrorisée, l’avocate se décide de bonne foi d’assurer la défense de son père, qu’elle croit fermement et surtout aveuglément innocent. Cette défense s’ébauche au nom de la « famille », tels la fille, le neveu, le beau-père, les ouvriers, qui constituent ses adjuvants, face à la foule (les manifestants) qui représente ses opposants.


Or, la situation du spectateur est problématique, en ce qu’il se trouve à cheval entre les deux types d’actant. En réalité, la caméra porte un regard neutre (de l’extérieur) sur celui qui est censé d’être criminel : teint pâle, cheveux blancs, indifférence, affection envers le neveu…Elle évite, par là, toute mise en relief d’une information d’ordre psychologique ou relative à son passé. La focalisation adoptée dans ce film fait que le spectateur s’identifie à l’avocate : il sait autant qu’elle.

Cependant, un détail, concernant le dénouement, est à noter. La pompe que l’accusé (Lasslo) pratique la nuit dans la chambre de son neveu. Pour Lasslo cet exercice développe « le corps et l’esprit ».

Par ailleurs, cet accusé nous est présenté sous les traits d’un vieux qui se meut dans des espaces clos, qui l’étouffent et le compriment : ce sont la maison, la voiture et le tribunal. La rue est un lieu ouvert, mais auquel il ne peut pas accéder ; car c’est un espace public (la foule) où les injures pullulent.

Il serait intéressant de souligner qu’à l’intérieur du tribunal américain, d’autres espaces sont évoqués, tels Budapest, le Fleuve, la Hongrie. De ce fait, deux espaces se trouvent opposés : les Etats-Unis où le modernisme bat son plein et la Hongrie, comme un espace « exotique » et relevant d’un autre temps : architecture merveilleusement classique, gravure enchantante, un fleuve qui coule sans cesse et qui cache, semble-t-il, des secrets, une statue très élevée et située sur une montagne, comme le témoin d’une période historique. Or, cette beauté du pays hongrois n’est qu’apparente, car elle cèle en elle un drame, telle une blessure.

Et c’est grâce à cette communication presque instinctive avec l’espace des origines que l’avocate réussit à lever le voile sur l’ambiguïté de son enquête (existentielle), car voir les choses n’est-il pas un retour à soi-même ?

Ayant découvert toute la vérité sur son père, l’avocate se trouve déchirée entre le devoir familial (se taire) et le devoir humain (dénoncer son père). Ce dilemme tragique sera résolu dans un dernier plan où l’on voit sur la Une d’un journal toutes les photos-preuves que l’avocate a déniché dans une « box music ».

La planchette annonce : « J. Lasslo est un criminel ».





Bouchta FARQZAID




AL BAYANE, culture, 24/1/1993. p. 6

Regards sur deux films palestiniens

Regards sur deux films palestiniens
« Ar-Rboa Al Akhir » et « An-Nouss »

En collaboration avec La Fédération Nationale des Ciné-clubs et l’Ambassade de la Palestine au Maroc, de le ciné-club de Khouribga a organisé une semaine du film palestinien (1). Longs métrages, documentaires voire dessins animés figuraient au programme dont les activités se ont déroulées du 13 au 17 du mois de mai en 1993.
Ont été projetés deux films, à savoir « Ar-Roboa Al Akhir » de Mohamed Essawalma et « En-Nouss » de M. El Omari.

A. « Ar-Roboa Al Akhir » ou le langage des barbares :

« Ar-Roboa Al Akhir » est un film qui a été produit par l’OLP en 1989. Il n’est point excessif d’avancer que les discours sont loin de rendre la substance moelle des images fort agressives qui nous sont présentées. Leur violence interpelle toute personne dont la mémoire est bel et bien en friche : les actes des israéliens rappellent la barbarie des Tartares dont les textes ne cessent de souligner la teneur : tortures, bombes lacrymogènes, bombardements, brisure des doigts et des coudes… Par ailleurs, les images des victimes font monter les larmes aux yeux : sang, larmes et cris stridents et discontinus, corps mutilés.

A travers les Manifestations et la Résistance, qui sont les deux aspects dominants chez les palestiniens, le documentaire met en scène un peuple qui lutte légalement pour une cause juste : La Terre. Un fragment du Yasser Arafat clôt le film, en annonçant, au milieu des voix, l’Etat de la Palestine dont la capitale est AL Qods.

En somme, c’est un documentaire à voir et surtout à « sentir ».



B. « En- Nouss » ou le langage de la Mémoire :

Le film en question est cela qui assure la communication entre le réalisateur M. El Omari et le spectateur, censé être doté d’une compétence d’interprétation. C’est dire qu’il y a lieu de distinguer deux instances intra-fictive et extra-fictive.

a) Le niveau fictionnel :
Il s’agit de l’univers du film où il est possible de distinguer celui qui parle et celui qui voit. Deux narratrices sont d’abord à relever à savoir la Vieille et les deux jeunes filles.

1. La vieille :
Oum Mazen est celle qui amorce ses récits par ce refrain propre au conte : « il était une fois ». Cette formule sert à instaurer une sorte de distance de l’univers de l’histoire, tant sur le plan du temps (passé), espace (mémoire) et personnages (fictifs ?)… La Palestine nous est ainsi présentée comme un Eden, mais au passé. Des clins d’œil, relatifs aux maisons silencieuses et à l’absence des hommes, sont fort malins. Le présent stigmatise une question qui n’est que brûlante. Le spectateur s’y trouve, par là, comme secoué et amené à décortiquer les signes ostentatoires : euphorie ou dysphorie ?

Les récits-contes inscrivent le film dans une sorte de nostalgie perpétuelle, qui hante les mémoires simplement exilées et celles en léthargie. Récits de la Terre, des aventures, des mariages, des moissons, des morts et des chants populaires ont pour fonction d’impliquer le spectateur dans l’univers narratif : de l’histoire à la diégèse, tel est, semble-t-il, la visée de M. el Omari.

2. Les deux jeunes filles :
Il est à noter que les récits de la vieille sont de temps en temps interrompus par une musique lyrique, assurant la transition aux contes des jeunes filles, lesquels complètent les premiers. Contrairement aux récits de Oum Mazen, ceux des jeunes filles s’adressent à des narrataires intradiégétiques, telle la fille de cinq ans à qui l’on narre des histoires d’amour d’un temps révolu…

Les différents récits garantissent la transmission d’une culture palestinienne d’une génération à une autre. Cette idée peut se schématiser ainsi :

• Plan intradiégétique :


Narratrices : Narrataires :

Jeunes filles : filles ou fille de cinq ans… (2)

La vieille : spectateur abstrait


• Plan extradiégétique :

Destinateur concret : Destinataire concret

Le réalisateur : Spectateur concret



b) la description :

C’est là que la question se pose pour savoir qui voit pour nous. Au niveau de la fiction, quoique ce soit un documentaire, la caméra semble focaliser l’attention les menus détails, relatifs aux objets à l’habit et à l’espace : ustensiles, chaises, nappes, tables, costumes, châle, fenêtres…

En-Nouss est un documentaire ethnographique, et fait partie des films palestiniens réalisés par une nouvelle génération de metteurs en scène qui ont compris que l’identité des Palestiniens est quotidiennement menacée. Et pour faire face à ce monstre d’Oubli ou d’Amnésie, ils se sont ingéniés à réhabiliter les traditions palestiniennes dans les moindres détails de la vie quotidienne : oralité, rites, fêtes sont entre autres quelques ingrédients d’une Mémoire d’un peuple qui croit fermement en lui.





Bouchta FARQZAID
LIBERATION, jeudi 3 mars 1993












1. Cette appellation englobe aussi les films produits en dehors de la Palestine, mais qui traitent cette même cause palestinienne, dont « Les Dupes » de Tawfiq Saleh. Pour plus d’informations, cf. La revue d’« Etudes cinématographiques », N° 2, 1985


2. Ces pointillés signifient qu’il peut y avoir d’autres destinataires virtuels

Le premier film d’un réalisateur irakien

Le premier film d’un réalisateur irakien
« Yamon akhar »

Nouvellement recréé à Boujâad, portant le nom de l’un des cinéastes engagés du cinéma marocain, feu Mohamed Raggab, et dans le cadre de ses activités cinématographiques de la deuxième session de l’année 92-93, le ciné-club a projeté, le 14 mars, un film intitulé « « Yamon akhar » (Une autre journée) du réalisateur irakien Sahab Haddad.

A. Fiche technique :
Le film en question a été produit par l’Institut du cinéma et du Théâtre en 1979.
• Histoire et le montage sont de Sabah Haddad
• Scenario : Sahab Haddad et Attouane Ezzaidi
• Photographie: Nehad Ali
• Musique: Salhi EL Wadi

B. Synopsis:
C’est l’histoire d’un massacre perpétré, au sein d’un désert, contre des bohémiens qui mènent une vie paisible, ancrée dans les délices terrestres, malgré les conditions insupportables du climat. Cet événement tragique, qui ouvre le récit, est dû principalement au conflit opposant une classe d’agriculteurs à certains despotes, dont le souci foncier est de tirer profit du désert et de tout ce qu’il contient : nature, bêtes, hommes…

C. Le contraste :
Le film met en scène une sorte d’opposition qui concerne les personnages et l’espace.

a) les personnages :
D’abord, l’on est en présence d’une classe des seigneurs qui sont d’une élégance et d’un embonpoint remarquables et bénéficient de l’appui d’un certain pouvoir provenant de l’extérieur et de l’assistance d’une classe si instruite (percepteurs, comptables…). Ces premiers mènent excessivement une vie de débauche.
Ensuite, les agriculteurs sont, par contre, de taille normale ou maigre. Comme les bohémiens (sans terre), ils endurent la dureté de l’espace et l’injustice des Cheikhs.

b) l’espace :
Il y a possibilité de distinguer l’espace général, qui est le désert, de l’espace particulier, dont les maisons en pisé pour les seigneurs et les agriculteurs, les tentes pour les bohémiens. Ainsi, l’espace de ces derniers est plus menacé, en ce qu’il est exposé aux aléas du climat infernal du désert et à la cupidité des partisans des cheikhs, qui n’y sèment que crimes, viols et violences.


D. Le récit filmique :
Le réalisateur a recours à un procédé assez courant au cinéma, à savoir l’analepse ou la rétrospection. Elles sont en nombre de trois, dont deux sont principales : la première est actualisée par le bohémien qui agonise ; la seconde est mémorielle de Saïd à la caverne. Cette technique a une double fonction :

1. dilater la durée de l’histoire
2. transgresser le déroulement linéaire des faits

Ainsi, sur le plan du récit, on peut retenir la succession suivante :
1. Massacre des bohémiens
2. Assassinat de Rachid
3. Assassinat de la femme de Saïd

Par contre, sur le plan de l’histoire, en reconstituant les faits, on obtient la chronologie suivante :

1. Assassinat de la femme de Saïd par Rachid

2. Assassinat de Rachid par Saïd



3. Massacre des bohémiens

Ces analepses ont donc une fonction explicative, en ce sens que le film commence par l’avant-dernière scène.




Bouchta FARQZAID
LIBERATION, Vendredi 2 avril 1993, p. 8

Espace et corps dans Ya Soltan Al madina

Espace et corps dans
Ya Soltan Al madina



Deux cités antinomiques semblent dominer le « fond » du film. La première représente la Médina, qui est un espace de toutes les contradictions d’une société traditionnelle : jouissance, interdits, misère, superstition…Elle est aussi un espace de la clôture par excellence, où le spectateur, au même titre que les personnages, se trouve impliqué dès le premier regard, qui suit le mouvement de la caméra qui « pénètre » les ruelles. Ainsi, il y a lieu de parler d’une mise à en abyme du thème de la clôture, en ce que la chambre verrouillée est incluse dans une cité repliée sur elle-même.

En tant qu’ouverture, l’autre cité fonctionne comme un ailleurs, c’est-à-dire un espace d’échappatoire. Ramla rêve de s’y métamorphoser en oiseau qui peut parcourir les cieux de la liberté. Par l’évocation de l’océan, cette ouverture semble être toutefois mystérieuse : vasteté, profondeur mais secret également. En effet, cet espace aquatique sera dévoilé par l’échec de Ramla (sable, devrait-on entendre !) : cette dernière sera violée par des gens qui étaient à sa poursuite…et cette portée à la fois érotique et violente s’exprime dans les indications suivantes :

• Inclinée, la caméra pénètre les portes et les ruelles labyrinthiques
• Le sceau qui tombe dans un puis, image itérative (trois fois : début, milieu, fin)
• Un mouton dont les tripes dégoûtent ostensiblement
• Nudité excessive du corps féminin


Ainsi, les images de « Ya Soltan el Madina », qui mettent en exergue la démolition parallèle du personnage de Ramla et de la cité (el Madina), sont à la fois « invocation » et « provocation », comme l’a souligné le réalisateur lors de la présentation de son film.

D’autres aspects méritent également d’être relevés, tels la narration filmique, l’onomastique des personnages (Ramla, Fraj…).




Bouchta FARQZAID
LIBERATION, Mercredi, 30 mars 1994

Crime, châtiment et passion

Crime, châtiment et passion
dans « Taïf Nizar » de Kamal Kamal


Primé lors de la huitième édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga (lauréat de la première œuvre), « Taïf Nizar, ou l’affaire de Mohamed Sebbar » est le premier long métrage de Kamal Kamal, sorti en 2002. Ce film s’inscrirait dans la tradition des genres policiers, qui mettent en scène des sujets d’ordre social, politique et philosophique, en ce que il traite de la question de la peine capitale.


A. Un crime ordinaire :


En effet, le crime est thème fédérateur de « Taïf Nizar ». D’emblée, le spectateur est en face d’un « accusé », nommé Ahmed Sebbar, qui est censé avoir tué sa femme et ses quatre enfants. Ainsi, le présumé coupable ballote entre trois institutions capitales, à savoir le tribunal, la prison et l’hôpital. Hormis le jeune magistrat, l’institution judiciaire n’est là que pour souligner la culpabilité d’Ahmed Sebbar. L’institution pénitentiaire fonctionne comme cela qui écrase davantage le personnage, en ce qu’elle représente toutes les formes du mal : malnutrition, maladie, claustrophobie…A ces deux premières s’ajoute l’institution clinique où le jeune Khaled, à la différence des magistrats et des geôliers, éprouve une sorte de sympathie pour Sebbar.

Avec ce médecin, commence, en réalité, ce qu’il est possible d’appeler « l’enquête policière », telle que l’on trouve dans les films noirs. En ayant le sentiment qu’Ahmed Sebbar est innocent, il lui rend visite dans sa cellule et rejoint, par là, le jeune magistrat.


B. Un crime politique :

Grâce à des flashs-backs, qui traversent le récit filmique, le spectateur dévoile progressivement l’énigme de notre héros. En effet, Ahmed Sebbar – apprend-on – est un ex-agent de police (un retraité), qui a assisté à des scènes de torture lors des interrogatoires des militants sous un règne de plomb, comme couper la main d’un étudiant.
L’on apprend également que Ahmed est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, en ce que c’est son chef, à lui, qui a mis à mort les membres de la famille de Sebbar, afin que celui-ci garde le silence sur des événements tragiques dont il était témoin oculaire. Sa seule chance est de se taire pou que sa fille survive.

Or, symboliquement, le bourreau n’en sera point gracié, puisqu’il a fini par être châtie de ses propres actes en se brûlant. Le paroxysme de la condamnation s’exprime encore une fois dans la scène ou Khaled crachera sur le tortionnaire. Cette scène doit stigmatiser une page noire de notre histoire. Témoin oculaire, Ahmed préfère ainsi de ne pas révéler la vérité. De ce fait, son silence s’inscrit dans une sorte de négativité, parce que c’est le sort de tout un pays qui en dépend. La passivité de ce personnage lui coûte la peine capitale (entendez une autre réprobation, s’il vous plaît !).

Or, Ahmed n’est aussi négatif que l’on peut croire. Au contraire, lors d’une conversation avec le jeune médecin, il lui fait part, mine de rien, des injustices perpétrées durant les années de plomb.


C. Justice et passion :

Partant, le crime perpétré contre la famille d’Ahmed Sebbar se trouve dramatiquement dépassé par un crime contre la société, voire contre l’Humanité. Et c’est là que le rôle de la justice devient impérativement capital. Le réalisateur, Kamal Kamal, semble, à dessein, jouer ironiquement sur l’allégorie judiciaire, dans la mesure où les yeux bandés, qui font allusion à l’intégrité et à l’équité, deviennent, dénotativement, signe de cécité.

A ce propos, tous les efforts du jeune magistrat et de l’avocat sont nuls et non avenus. Le juge et les autres magistrats ont déclaré, à l’unanimité, coupable un homme innocent, et passent, pour ainsi dire, pour de vrais criminels. Le verdict a été dicté par un impératif, à savoir le Devoir. Cette notion, paraît-il, contient dans le film toutes les contradictions de la pratique du Pouvoir, lequel s’oppose aux valeurs humaines. Car, comment se fait-il qu’un homme puisse juger un autre ?

Le discours judiciaire devrait être donc humanisé pour être mené à bien. Il lui faut prendre une âme sœur qui n’est que l’Amour, un concept qui est à même de résoudre tous les problèmes du monde, comme le souligne un marginalisé dans le film. Il est possible de constater qu’effectivement cette notion humaine fait défaut chez le juge, les magistrats, les geôliers, et évidement, le Tortionnaire (Mustapha Jamal). En effet, la femme du juge, Leila, est, dans ce sens, une figure emblématique de cette passion amoureuse et de cette tendance épicurienne, laquelle, grâce à son corps, met en crise ces formes doxologiques. Pour s’en convaincre, il faut rappeler la façon tellement érotique dont elle se comporte, en buvant un jus d’orange, en présence du ministre de la Justice. Aussi aime-t-elle danser et se maquiller de façon incongrue. Sa provocation atteint son paroxysme avec la relation d’adultère qu’elle entretient avec le jeune magistrat !

Et c’est là qu’intervient l’âme de Nizard à travers sa voix, qui, elle, semble apporter une réponse à la question si brûlante de la Peine Capitale. Elle permet, notamment, de faire face à toute forme d’absurdité qui menace l’existence de l’Homme et de stigmatiser le souci de comprendre l’Autre ; faute de quoi, tout le monde est condamné à devenir fatalement criminel.








En somme, « Taïf Nizard » ou l’affaire de Mohamed Sebbar véhicule indéniablement un message à la fois politique et poétique. La voix poétique triomphe on ne peut plus de la méchanceté politique.





Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, samedi-dimanche, 7-8 juin 2003

L’esthétique de l’image dans

L’esthétique de l’image dans
« La Morsure du citron » (1) de Jean François-Amiguet


L’aveugle est quelqu’un qui a les yeux au bout des doigts
Luis BORGES

I. Pour introduire :

Né en 1950 à Vevey, Jean François-Amiguet a réalisé, depuis 1994, une série de films qui varient en durée (court et long) et en genre (fiction et documentaire), dont « La jacinthe d'eau » (1978), « L'écrivain public » (1993) …

L’argument de « La morsure du citron » (court métrage, 2007) se résume dans l’idée qu’un comédien, plein de vie, apprend qu’il va perdre la vue. Par là, le réalisateur pose, à travers la cécité, la question fondamentale du statut de l’être et de l’image.



II. La technique du photogramme :


A. Le récit :
1. la photographie:
De 26 minutes, le film est une série d’images photographiques, qui se suivent selon un rythme varié, que le réalisateur adopte selon les contraintes de la narration. Tantôt lent, il permet au spectateur de se plaire en regardant l’image, comme cadre matériel, en ce que celui-ci désigne les contours d’une réalité. Tantôt accéléré, ce rythme favorise plutôt la contemplation, dans la mesure où l’on est porté par le mouvement que cela crée. L’image fixe devient cela même qui garantit le cinéma. D’autant plus que le réalisateur recourt à des techniques d’illusion, comme le zoom avant-arrière ou le travelling.
Ces fragments fictionnels constituent, de ce fait, un récit où se réunissent tous les ingrédients d’une intrigue, à savoir les personnages (le comédien (Larsen), le médecin, ses amis, le barman), les lieux (cabinet, bar, place publique, passages souterrains).



2. Une logorrhée expressive:
Cette fictionnalisation iconique, elle est soutenue par un texte où le moi se met à nu. En effet, une voix off accompagne le défilement des images en leur conférant logique et harmonie. Ce texte se présente sous la forme d’un monologue polyphonique, car il englobe en lui-même le discours d’autrui, comme le dialogue :


« Docteur, c’est vrai ce que j’ai ?
C’est vrai que c’est à moi que ça m’arrive? ».

Parlant de la trame narrative dans le court métrage, Jean François-Amiguet cite trois constituants : l’exposition, la perturbation et le dénouement. « La Morsure du citron » obéit largement à cette conception. La première phase correspond à une présentation de Larsen menacé par la cécité. La seconde est une série de réactions ou d’affects. La troisième, c’est une prise de conscience.

3. Une pensée psycho-philosophique :
Or, ce texte est une sorte d’introspection, dans la mesure où il permet au récepteur de connaître les sentiments du sujet victime de la cécité, ponctuée de peur, de doute et des souvenirs. Cette perte de la vue amène un tel sujet à mettre le doigt sur l’essence même de l’image. Car, qu’est-ce que voir, en fin de compte ?
Faute de lumière, qui est le pivot de toute activité visuelle, le narrateur s’ingénie à se remémorer le passé : les jeunes en fleur qu’il a connues, les lieux qu’il a habités… C’est dire combien, dans ce cas-ci, il est fort difficile de restituer un « morceau de vie » au moyen d’une image mentale. Les souvenirs si colorés, si parfumés et si bruyants ne sont point des « images nettes », en ce que ceux-là sont la négation même du regard. En recourant à d’autres sens, l’aveugle devient cette « partie » qui est appelée à comprendre le « tout » – dans le double sens du terme : un homme qui porte en lui le monde.



B. Les fonctions de la lumière :
Cette expérience des limites est une sorte de traversée tragique menée par le narrateur. Jean François Amiguet procède par un travail sur les lieux et la lumière. D’abord, le film met en scène deux « couleurs » à la fois symboliques et dramatiques : le noir et le blanc. Et tel le personnage principal, le spectateur fait l’expérience de la cécité, puisque c’est le noir qui l’emporte sur le blanc. Cet exil vers l’intérieur, il est représenté par une série de lieux clos, sombres et labyrinthiques, qui rappellent, sans doute, la descente aux Enfers : tunnels.


C. Un aveugle heureux :
Jean François-Amiguet recourt à une sorte de machine narrative assez rare qui permet de décrire au détail près un univers clos d’un homme qui sombre dans le monde des ténèbres.
Or, Larsen est un acteur, c’est-à-dire quelqu’un qui « aime la vie », comme il le dit lui-même. Loin de se soumettre, il s’efforce de se faire un autre « regard » qui, euphoriquement, prend racine dans son for intérieur. C’est une lumière idéale qui a l’avantage de contrecarrer toutes les affres de l’obscurité et de l’agonie. Car, pour citer le film en le déformant, « ne plus voir, c’est [mourir] un peu » : être impliqué dans un temps plat. Tel Sisyphe, qui a pu prendre conscience des manigances des dieux, Larsen est un aveugle heureux.

Le paradoxe du film, c’est qu’il permet une réflexion sur le rapport assez dialectique de l’ombre et de la lumière et, partant, de la photographie et du cinéma. Tel l’homme, l’image contient notamment deux éléments complémentaires et apparemment contradictoires : noir-et-blanc. Le noir de la cécité et du cadre est cela même qui permet de lire ce qui est illuminé, de même que la lumière permet d’écrire le processus de l’obscurité.

III. Pour conclure :
En se servant d’une couleur radicale, présente dans toutes les formes artistiques (photo, peinture, cinéma), Jean François Amiguet laisse entendre, tel pierre SOULAGES, que le noir est cela même qui fait jaillir la lumière, qui est, en fin de compte, une sorte de triomphe que l’homme remporte sur l’avant-naissance, la cécité et la mort.




Bouchta FARQZAID







































Marges :
1. Ce film a été projeté en séance d’ouverture lors de la 4° édition du court métrage méditerranéen à Tanger.
2. « photo- » = lumière et « graphie » = écriture

« A. K » ou le méta-cinéma

« A. K » ou le méta-cinéma


« A. K » est un documentaire sorti le 22 mars mai 1985 à Paris par le français Chris Marker (71 m). Ce film trace les différentes étapes par lesquelles est passé le tournage le long métrage de « Ran » réalisé par Akira Kurosawa.

Le génie du réalisateur – Chris Maker- nous a donné à voir un reportage incomparable dont la principale visée est non de communiquer des informations, mais plutôt de faire rêver et revivre les premiers moments de la genèse d’un chef-d’œuvre indélébile : Ran.
Cela n’est possible que grâce à un certain nombre de techniques – retreintes mais significatives- qui se résument comme suit :

A. La descente heureuse des dieux sur terre :
En effet, chez le spectateur (averti), le metteur en scène est trop souvent ce « dieu caché » qui tire les ficelles, à l’insu du regard du spectateur. C’est un être qui se sacrifie pour signer un « produit », en vue de l’éterniser (des fois son nom passe très inaperçu dans un générique). Avec « A. K. », le créateur se met à côté de ses créatures pour mener un travail époustouflant quasi égal. L’œuvre nous est présentée, en fait, comme un film auquel prennent part réalisateur, figurants, maquilleurs, cameramen, décorateurs, perchistes…etc.

Veillant à son produit, ce créateur a l’air fort joyeux. Akira Kurosawa dirige ses acteurs d’un geste majestueux et d’un ton serein accompagnés d’un sourire solennel et lucide, marquant une sorte de satisfaction à l’égard film sous forme de toile qui se tisse.


B. La poétique des fragments :

Chris marker a intelligemment procédé par découpage du film en fragments : c’est-à-dire en petites séquences portant chacune un titre, lequel tire racine de la pensée –si poétique et spirituelle- du réalisateur japonais. Ces titres, dont l’esthétique fascine, sont en nombre de « 9 » et se succèdent selon l’ordre suivant :

• Bataille
• Fidélité
• Vitesse
• Pluie
• Laque et or
• Feu
• Brouillard
• Chaos

Ces formes – qui rappellent le haïku – mettent en scène un imaginaire d’un génie : la conception de la fiction cinématographique chez Akira Kurosawa. Elles nous dévoilent les détails les plus fins que le réalisateur accorde à une scène de bataille ou à telle autre…Elles constituent également les thèmes et les fils directeurs qui ont présidé à l’ « accouchement » d’un film tiré d’une pièce tragique, à savoir Le Roi Lear du fameux dramaturge William Shakespeare.

Parlant du cheval, par exemple, Akira dit : « il est porteur de vérité ». Cet animal sacré, auquel il consacré un film UMA, devient dans les films de ce réalisateur un personnage à part entière.

Quant au cinéma, il est, selon ses dires, l’art grâce auquel « il faut montrer ce que l’on a envie de voir ». Il l’oppose, par là, au genre dramatique où le geste est le support de toute communication. La caméra, pense-t-il, est « toute puissante » et bénéficie d’une « ubiquité » indiscutable, en ce sens qu’elle peut accéder à tous les endroits et au moindre détail, si banal soit-il, telle une grimace.

C. La mise en abîme :

Le film de Chris Marker est un langage cinématographique qui s’élabore sur le film d’Akira Kurosawa : images sur des images. C’est que, par souci de formalisation, il est possible de dire que « A. K. » prend forme sur « Ran » : un contenant et un contenu. En somme, il s’agit d’une sorte d’une mise en abîme iconique : Chris Maker filme Akira Kurosawa qui filme.
Le réalisateur premier ainsi que son équipe perdent toute dimension charnière et embrassent celle de la fiction. Autrement dit, ils subissent une espèce de dédoublement et deviennent simples personnages qui se meuvent dans l’univers fictif du film de Chris Marker. Ainsi, toutes les frontières entre fiction et documentaire se laissent estomper.

D. Le spectateur :
Une autre remarque mérité bien d’être notée : c’est que, par le biais du silence qu’actualisent les blancs entre le commentaire ( voix off) et le discours du réalisateur japonais et des acteurs, Chris marker invite le spectateur à s’introduire dans cela même qui lui est présenté.

« A. K. » n’est pas seulement un documentaire, mais aussi une sorte de miroir où « Ran » se réfléchit et se montre en train de se faire avec tout le rite que cela suppose.








Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, culture, 14/02/1993.p6

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