jeudi 10 juillet 2008

Crime, châtiment et passion

Crime, châtiment et passion
dans « Taïf Nizar » de Kamal Kamal


Primé lors de la huitième édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga (lauréat de la première œuvre), « Taïf Nizar, ou l’affaire de Mohamed Sebbar » est le premier long métrage de Kamal Kamal, sorti en 2002. Ce film s’inscrirait dans la tradition des genres policiers, qui mettent en scène des sujets d’ordre social, politique et philosophique, en ce que il traite de la question de la peine capitale.


A. Un crime ordinaire :


En effet, le crime est thème fédérateur de « Taïf Nizar ». D’emblée, le spectateur est en face d’un « accusé », nommé Ahmed Sebbar, qui est censé avoir tué sa femme et ses quatre enfants. Ainsi, le présumé coupable ballote entre trois institutions capitales, à savoir le tribunal, la prison et l’hôpital. Hormis le jeune magistrat, l’institution judiciaire n’est là que pour souligner la culpabilité d’Ahmed Sebbar. L’institution pénitentiaire fonctionne comme cela qui écrase davantage le personnage, en ce qu’elle représente toutes les formes du mal : malnutrition, maladie, claustrophobie…A ces deux premières s’ajoute l’institution clinique où le jeune Khaled, à la différence des magistrats et des geôliers, éprouve une sorte de sympathie pour Sebbar.

Avec ce médecin, commence, en réalité, ce qu’il est possible d’appeler « l’enquête policière », telle que l’on trouve dans les films noirs. En ayant le sentiment qu’Ahmed Sebbar est innocent, il lui rend visite dans sa cellule et rejoint, par là, le jeune magistrat.


B. Un crime politique :

Grâce à des flashs-backs, qui traversent le récit filmique, le spectateur dévoile progressivement l’énigme de notre héros. En effet, Ahmed Sebbar – apprend-on – est un ex-agent de police (un retraité), qui a assisté à des scènes de torture lors des interrogatoires des militants sous un règne de plomb, comme couper la main d’un étudiant.
L’on apprend également que Ahmed est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, en ce que c’est son chef, à lui, qui a mis à mort les membres de la famille de Sebbar, afin que celui-ci garde le silence sur des événements tragiques dont il était témoin oculaire. Sa seule chance est de se taire pou que sa fille survive.

Or, symboliquement, le bourreau n’en sera point gracié, puisqu’il a fini par être châtie de ses propres actes en se brûlant. Le paroxysme de la condamnation s’exprime encore une fois dans la scène ou Khaled crachera sur le tortionnaire. Cette scène doit stigmatiser une page noire de notre histoire. Témoin oculaire, Ahmed préfère ainsi de ne pas révéler la vérité. De ce fait, son silence s’inscrit dans une sorte de négativité, parce que c’est le sort de tout un pays qui en dépend. La passivité de ce personnage lui coûte la peine capitale (entendez une autre réprobation, s’il vous plaît !).

Or, Ahmed n’est aussi négatif que l’on peut croire. Au contraire, lors d’une conversation avec le jeune médecin, il lui fait part, mine de rien, des injustices perpétrées durant les années de plomb.


C. Justice et passion :

Partant, le crime perpétré contre la famille d’Ahmed Sebbar se trouve dramatiquement dépassé par un crime contre la société, voire contre l’Humanité. Et c’est là que le rôle de la justice devient impérativement capital. Le réalisateur, Kamal Kamal, semble, à dessein, jouer ironiquement sur l’allégorie judiciaire, dans la mesure où les yeux bandés, qui font allusion à l’intégrité et à l’équité, deviennent, dénotativement, signe de cécité.

A ce propos, tous les efforts du jeune magistrat et de l’avocat sont nuls et non avenus. Le juge et les autres magistrats ont déclaré, à l’unanimité, coupable un homme innocent, et passent, pour ainsi dire, pour de vrais criminels. Le verdict a été dicté par un impératif, à savoir le Devoir. Cette notion, paraît-il, contient dans le film toutes les contradictions de la pratique du Pouvoir, lequel s’oppose aux valeurs humaines. Car, comment se fait-il qu’un homme puisse juger un autre ?

Le discours judiciaire devrait être donc humanisé pour être mené à bien. Il lui faut prendre une âme sœur qui n’est que l’Amour, un concept qui est à même de résoudre tous les problèmes du monde, comme le souligne un marginalisé dans le film. Il est possible de constater qu’effectivement cette notion humaine fait défaut chez le juge, les magistrats, les geôliers, et évidement, le Tortionnaire (Mustapha Jamal). En effet, la femme du juge, Leila, est, dans ce sens, une figure emblématique de cette passion amoureuse et de cette tendance épicurienne, laquelle, grâce à son corps, met en crise ces formes doxologiques. Pour s’en convaincre, il faut rappeler la façon tellement érotique dont elle se comporte, en buvant un jus d’orange, en présence du ministre de la Justice. Aussi aime-t-elle danser et se maquiller de façon incongrue. Sa provocation atteint son paroxysme avec la relation d’adultère qu’elle entretient avec le jeune magistrat !

Et c’est là qu’intervient l’âme de Nizard à travers sa voix, qui, elle, semble apporter une réponse à la question si brûlante de la Peine Capitale. Elle permet, notamment, de faire face à toute forme d’absurdité qui menace l’existence de l’Homme et de stigmatiser le souci de comprendre l’Autre ; faute de quoi, tout le monde est condamné à devenir fatalement criminel.








En somme, « Taïf Nizard » ou l’affaire de Mohamed Sebbar véhicule indéniablement un message à la fois politique et poétique. La voix poétique triomphe on ne peut plus de la méchanceté politique.





Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, samedi-dimanche, 7-8 juin 2003

Aucun commentaire:

Textes disponibles

Comment avez-vous trouvé l'article?

Powered By Blogger