mardi 30 décembre 2008

Festival international du film de Marrakech: Le destin familial ou individuel

Le destin familial ou individuel
Autour du Festival international du Film de Marrakech (1)


0. En guise de présentation :
Il va sans dire que le Festival international du Film de Marrakech devient, de plus en plus, l’une des grandes manifestations cinématographiques dans le monde, à côté des Festivals de Venise, de Cannes, de Berlin…etc. La huitième édition en est fort illustrative : Films en lice (quinze), Films hors-compétition, Coup de cœur, Hommage aux cinémas marocain et britannique, à Youssef CHAHINE, à Sigourney WEAVER, à André KONCHALOVSKY et à Michelle YEOH, Flash-back, Travelling, Place Jamaâ El-Fna, Films en audio-description.
Cette édition a pris de l’ampleur grâce à un esprit de rigueur et de professionnalisme qui a sans doute déterminé la sélection des films en compétition, qui a donné à voir diversité, pertinence et esthétique. Y sont représentés l’Argentine, l’Inde, les Etats-Unis, la Pologne, le Danemark, le Philippine, l’Irlande, la Finlande, l’Italie, la Russie, l’Islande, la Chine, l’Allemagne et le Maroc.
Il est sûr que les films en compétition traitent, sur des modes différents (dramatique, réaliste, historique, mythologique, comique) des questions spécifiques et assez variés, comme la jalousie, l’affection maternelle, la solitude, la guerre, la maladie, l’impuissance sexuelle, la condition ouvrière, la question féminine, la reconnaissance. Néanmoins, ces questions sont reliées par un axe fédérateur qui est la famille et/ou l’individu. Cette thématique est si cruciale qu’un grand nombre de philosophes, d’éducateurs, d’écrivains et de cinéastes y ont consacré des œuvres indélébiles. Critiquée (« famille, je vous hais ») ou soutenue (cf. les textes sacrés), la famille est considérée comme le « premier espace social où les ressources sont mobilisables sont perçues par l’individu » (3). C’est dire que ce noyau humain influence pleinement le destin personnel et que l’individu agit sur lui en contrepartie.
Neuf films sur quinze mettent au clair justement les rapports de filiation et d’alliance, qui sont, très souvent, exposés à des épreuves. C’est une sorte de crise de l’individu qui entraîne l’éclatement du « cocon ».

1. Crise de l’individu ou crise de la famille :
a. Les liens de filiation : nombre de films mettent en scène certaines familles qui vivent une tension qui s’exprime dans la séparation (Zone Bridge, Time to die, Flame et Citron), la perte (Kandisha), la reconnaissance (The prince of Broadway). Certains réalisateurs ont mis en exergue le rôle si prépondérant que peut jouer la famille dans la vie de l’individu en crise. C’est l’exemple de la femme qui soutient son mari (Eden) ou le mari qui épaule sa femme (Kandisha) ou encore la mère qui intervient dans la vie de sa fille souffrant d’un cancer pour lui prescrire d’autres objectifs (100). Avant de se lancer à la recherche de sa femme qui a été récupérée par sa famille, le père dans « The Shaft » attend patiemment sa retraite en prenant soin de ses fils : il sollicite le directeur d’engager son fils à son poste et donne sa fille en mariage à un homme âgé et riche.
b. Les liens d’alliance : ceux-ci peuvent également être ébranlés comme le montrent « The Empty next », « Flame et Citron » et « Eden ». Ainsi, un hiatus se creuse entre le couple du film argentin à cause de l’âge et de la solitude. Le mari sombre dans un état presque maladif qui fait de lui un jaloux et un lecteur de signes susceptibles d’incriminer sa femme. Cette crise du couple a parfois comme corollaire l’adultère. A cause de la jalousie ou de l’impuissance sexuelle, les conjoints, le mari dans « The Empty next » ou la femme dans « Eden », contre leur propre gré et dans des situations si confuses, sont amenés à consommer l’interdit. La guerre peut être également l’un des facteurs qui contribuent fatalement à l’éclatement des liens familiaux. Le film danois, « Flame et Citron », donne à voir deux héros, qui se sont voués à la cause de leur pays au détriment de leurs familles, parents pour l’un et femme et fille pour l’autre.


2. Pour un dépassement de la fatalité :
Il est à noter que, malgré leurs efforts pour faire face à la réalité dramatique, certains personnages finissent par échouer. En effet, le héros de « Zero Bridge » a beau faire pour rejoindre sa mère aux Etats-Unis. Le jeune dans « The Shaft » a tellement rêvé de devenir chanteur, mais il a fini par occuper le poste de son père : un mineur comme les autres de son village. Sa sœur, elle aussi, a renoncé à son amour en obéissant à son père.
Il y a lieu de rappeler, cependant, que la plupart des héros s’inscrivent dans une positivité remarquable, en ce qu’ils s’efforcent tous de lutter contre la fatalité sociale, familiale ou corporelle, en faisant preuve d’une bravoure et d’une patience inégalables. Consciente de son sort inévitable, Joyce, l’héroïne de « 100 » décide de profiter des derniers moments de sa vie : elle fait la bonne chère. Celle de « Time to die », Aniela, témoigne d’une telle clairvoyance qu’elle décide de faire don de la maison à laquelle elle tient tant à une association, à la seule condition de la restaurer après sa mort. Et s’il est vrai que Flame et Citron ont été trahis et tués par leurs ennemis nazis, ils sont toutefois rehaussés au statut des héros légendaires qui symbolisent la résistance danoise. Tourmentée et par son destin et par celui de la Femme accusée d’avoir tué son mari, l’héroïne de « Kandisha » se découvre à la fois l’avocate et le personnage mythologique qui a pour mission de libérer la Femme. C’est un récit où la quête policière et la quête de l’identité (ou des origines) se chevauchent. Enfin, l’art a permis au mari dans « The Empty next » de dépasser ses sentiments hostiles à l’égard de sa femme.

III. En guise de conclusion :
Cette présentation assez sommaire n’est que pour susciter le débat autour d’une sélection de films, dont la plupart méritent des études rigoureuses où il faut tenir compte du contexte de production, du thème abordé et du choix esthétique de chaque réalisateur.

Bouchta FARQZAID



















1. Notre essai portera sur neuf films que nous avons pu voir à l’exception de « Tears of april », « Country Weddding », « A Year Ago in Winter », « Wlid Field ».
2. Bernadette Bawin, Bernadette Bawin-Legros, Jean-François Stassen, Sociologie de la famille, p. 9, version électronique.

L'Image visuelle chez FARQZAID: "Paris sur mer" de Mounir Abbar.

"Sellam et Démétan" de Mohamed Amine, " Le Pain amer" de Hassan DAHANI et de "Paris sur mer" de Mounir Abbar.

De petits bijoux ـ Tanger

Il est des perles qui jaillissent comme de nulle part pour scintiller et ىclairer ce qui les entoure. C'est bel et bien le cas de trois courts mىtrages que nous avons eu le grand plaisir de voir lors de la dixiوme ىdition du Festival National du Film de Tanger, tenu entre 13 et 20 dىcembre 2008. Ce sont "Démétan" de Mohamed Amine, " Le Pain amer" de Hassan DAHANI et de "Paris sur mer" de Mounir Abbar.

I. "Paris sur mer" de Mounir Abbar
Il faudrait commencer par dire que le thوme du film est assez dىbattu tant au cinىma qu'en littىrature. Or, Mounir Abbar y apporte une touche artistique et personnelle. En effet, le film nous raconte l'histoire d'un jeune africain qui a dىcidى un jour de rىaliser son rيve : migrer vers l'ىtranger via la ville de Tanger.

A. une traversée du désert:
Pour atteindre son but, le personnage principal est astreint de faire un pىriple infernal, en ce qu'il doit traverser un désert où toutes les menaces sont réunies ـ savoir le soleil, les sables et la maffia des passeurs. La technique de suggestion y est de mise, lorsque la camera nous présente de longs chemins sinueux.

La deuxiوme ىtape du prériple est Tanger. Ville de transition, elle constitue un pont vers l'au-delـ dans le double sens du terme. Mais elle est ىgalement un espace qui s'inscrit dans une logique ـ la fois négative et positive. Elle est un espace de toutes les menaces citadines: famine, manque de sécurité...

B. Une utopie heureuse:
Cette ville de Tanger a également un rôle narratif et symbolique, dans la mesure où elle permet de passer ـ l'autre rive et qu'elle peut bloquer toute tentative clandestine et, paradoxalement, rendre le rêve une illusion heureuse. Sans insister sur la banalité du prétexte, c'est dans ce sens qu'il faut entendre la rencontre entre le noir et la blonde, c'est-à-dire de l'Afrique et de la France.
Le récit du film prend forme au fur et mesure de la narration prise en charge par le personnage principal. Analphabète, celui-ci demande à la Française de transcrire une lettre dans laquelle il essaie de reproduire le récit de son voyage.
Il s'agit d'un procédé technique qui consiste ـ mettre en scène un récit grâce aux mots (voix off) et aux images, c'est-à-dire ـ en souligner le contenu la narration et de la visualisation pour nous mettre au centre du rêve qui n'est en fin de compte qu'une illusion. La ville de Paris n'est qu'un espace utopique du fait qu'elle est locus côtier.



C. Un locus amoenus :
Tanger, elle se dىcouvre un lieu de rencontre et du mىlange des couleurs, des races, des langues et des idées. Ville hospitalière, elle est cela qui réunit et concilie les différences.

En somme, le film de Mounir Abbar tىmoigne, sans complaisance, d'une touche et d'une vision originales. Cela promet beaucoup.


Bouchta FARQZAID

lundi 29 décembre 2008

"Paris sur mer" de Mounir Abbar.

"Paris sur mer" de Mounir Abbar.
L’utopie heureuse

Il est des perles qui jaillissent comme de nulle part pour scintiller et éclairer ce qui les entoure. C’est bel et bien le cas de trois courts métrages que nous avons eu le grand plaisir de voir lors de la dixième édition du Festival National du Film de Tanger, tenu entre 13 et 20 décembre 2008. Ce sont "Démétan" de Mohamed Amine, " Le Pain amer" d’Hassan DAHANI et de "Paris sur mer" de Mounir Abbar.

I. "Paris sur mer" de Mounir Abbar
Il faudrait commencer par dire que le thème du film est assez débattu tant au cinéma qu'en littérature. Or, Mounir Abbar y apporte une touche artistique et personnelle. En effet, le film nous raconte l'histoire d'un jeune africain qui a décidé un jour de réaliser son rêve : migrer vers l'étranger via la ville de Tanger.

A. une traversée du désert
Pour atteindre son but, le personnage principal est astreint de faire un périple infernal, en ce qu'il doit traverser un désert où toutes les menaces sont réunies à savoir le soleil, les sables et la maffia des passeurs. La technique de suggestion y est de mise, lorsque la camera nous présente de longs chemins sinueux.

La deuxième étape du périple est Tanger. Ville de transition, elle constitue un pont vers l'au-delà dans le double sens du terme. Mais elle est également un espace qui s'inscrit dans une logique à la fois négative et positive. Elle est un espace de toutes les menaces citadines: famine, manque de sécurité...

B. Une utopie heureuse:
Cette ville de Tanger a également un rôle narratif et symbolique, dans la mesure où elle permet de passer à l'autre rive et qu’elle peut bloquer toute tentative clandestine et, paradoxalement, rendre le rêve une illusion heureuse. Sans insister sur la banalité du prétexte, c'est dans ce sens qu'il faut entendre la rencontre entre le noir et la blonde, c’est-à-dire de l'Afrique et de la France.
Le récit du film prend forme au fur et mesure de la narration prise en charge par le personnage principal. Analphabète, celui-ci demande à la Française de transcrire une lettre dans laquelle il essaie de reproduire le récit de son voyage.
Il s’agit d’un procédé technique qui consiste à mettre en scène un récit grâce aux mots (voix off) et aux images, c’est-à-dire à en souligner le contenu la narration et de la visualisation pour nous mettre au centre du rêve qui n’est en fin de compte qu’une illusion. La ville de Paris n’est qu’un espace utopique du fait qu’elle est locus côtier.



C. Un locus amoenus :
Tanger, elle se découvre un lieu de rencontre et du mélange des couleurs, des races, des langues et des idées. Ville hospitalière, elle est cela qui réunit et concilie les différences.

En somme, le film de Mounir Abbar témoigne, sans complaisance, d’une touche et d’une vision originales. Cela promet beaucoup.


Bouchta FARQZAID

La rhétorique de la pudeur

La rhétorique de la pudeur
dans " Le Pain amer" de Hasan DAHANI


Il est des perles qui jaillissent comme de nulle part pour scintiller et éclairer ce qui les entoure. C’est bel et bien le cas de trois courts métrages que nous avons eu le grand plaisir de voir lors de la dixième édition du Festival National du Film de Tanger, tenu entre 13 et 20 décembre 2008. Ce sont "Démétan" de Mohamed Amine, " Le Pain amer" d’Hassan DAHANI et de "Paris sur mer" de Mounir Abbar.
0. En guise de présentation:
Il faudrait rappeler que " Le Pain amer" est le 7eme film de Hasan DAHANI. Le hasard a fait qu’il y’ait, à notre humble avis, une référence et une maîtrise des techniques cinématographiques chez ce jeune cinéaste qui, notons-le avec insistance, promet beaucoup.
Cette maîtrise s’exprime en réalité sur différents plans. Fidèle à la culture marocaine, si DAHANI, en tant que scénariste, a accordé de l’importance au premier seuil de sa fiction à savoir le titre. L’expression du « pain amer » fait référence à l'imaginaire marocain par la traduction de la phrase en arabe dialectal "lkhobz har" ou « lkhobz mor »). De là, il résume, quant à lui, toute une Histoire.
En effet, le court de Si Hassan DAHANI est fondé principalement sur deux thèmes imbriqués joliment sur le plan narratif et dont le noyau est bel et bien la famille.

I. La crise de la famille:
Cette crise familiale n’est ni donnée, ni exposée ni imposée. Elle est simplement suggérée. Sur le plan de l’image, le corps de la fille-mère perd de sa dimension érotique pour nous inviter à poser des questions en vue d’en déceler éventuellement quelques blessures brûlantes. Les gros plans y sont notamment fort pertinents, en ce qu’ils nous permettent de deviner l’intérieur du personnage. Un autre procédé participe à la mise en scène de la souffrance est celui de la répétition. En effet, une scène se répète plusieurs fois de la femme qui revient dans un taxi noir vers une heure tardive et se glisse chez elle sans que personne ne s’en aperçoive. C’est une mère prostituée malgré elle, que l’on peut appeler en pastichant un titre d’une pièce de théâtre de Jean Paul Sartre La P… respectueuse.
A cette situation déplorable de la mère s’ajoute le calvaire qu’elle endure chez elle par les mêmes questions que ne cesse de lui poser son père. C’est également par ce procédé de la répétition que nous découvrons que son père vit dans autre monde sans connexion avec la réalité à cause de cette maladie d’Alzheimer.

Ainsi la crise atteint son paroxysme, puisque les deux peux personnages subissent en fait le même sort : la perte du corps pour et de la mémoire pour l’autre.

II. dialectique : personnage, temps et espace :
Les trois personnages principaux du film ont un côté bestial. La mère est nocturne. La nuit représente ici temps de la transgression de l'interdit dont nous avons déjà parlé. Quant au père et sa petite-fille, ils semblent être prisonniers d’un espace comprimé, qui annonce, dès le début du film, à travers les serrures, une sorte de drame en filigrane.
Le jour est au contraire cela même qui constitue une occasion idoine pour le père – en captivité - pour se rendre lui-même la liberté.


III. Une fin ouverte :
La fuite du père n’est là que pour illustrer un désir si inconscient de mettre fin à une vie et d’en recommencer une autre. La scène finale du carrefour y est illustrative, en ce qu’elle annonce un autre possible narratif…

IV. En guise de conclusion :
En somme, il est assez d’avantages, dans le film, qui se résument comme suit :
 Belle écriture scénaristique, car l’histoire est simple, lisible mais profonde.
 Belle réalisation, elle témoigne de la maîtrise de la conception de l’idée et de sa matérialisation en image et en son.
 Très beau jeu des comédiens, parce qu’il est vraisemblable, « économique » et convaincant…




Bouchta FARQZAID

La 3ème édition du Festival National du film d'Amateurs

La 3ème édition du Festival National du film d'Amateurs
Du 31 mars au 04 avril 2009


L'association " 7ème Art " et le Conseil Municipal de Settat organisent du 31 mars au 04 avril 2009 le Festival National du Film d'Amateurs de Settat dont la première édition comprendra :
- une compétition officielle ouverte aux amateurs marocains ou résidents au Maroc dont les films ne dépassent pas 18 mn. Les trois meilleurs films recevront des récompenses ;
- trois ateliers de formation qui seront consacrés aux techniques de la production du film d'amateurs : 1) l'écriture de scénario. 2) le tournage de film. 3) le montage numérique ; et
- des interventions et des débats autour des questions relatives au film d'amateurs au Maroc et à travers le monde.
- un panorama du film d'amateurs d'un autre pays.
Pour présenter son film à la compétition officielle et/ou s'inscrire dans l'un des ateliers du festival, il faudrait accéder au site internet : . . . . . . . .
ou demander à l'une des adresses du festival les imprimés expliquant les conditions de participation : Association " 7ème Art " Settat - BP : 929.
Emails : septiemart_settat@yahoo.fr ou ab_mounaim@yahoo.fr ou yaqdam@yahoo.fr
Tels : 067260141 ou 061620801

Le cinéma burlesque :

Le cinéma burlesque :
« En attendant Pasolini » de Daoud Ouled-Syad (1)

« La verità non sta in un solo sogno ma in molti sogni »
Les mille et une nuits, de Pier Paolo Pasolini




0. En guise de présentation :
Il est indéniable que, sur la scène cinématographique marocaine, Daoud Ouled-Syad est l’un des réalisateurs les plus inventifs. Ses premiers films en témoignent : « Le cheval du vent » (2002), « Adieu forain », « Tarfaya Bab Labhar ». Ce brio s’explique par le fait que ce jeune réalisateur est d’abord un bon photographe.
Réalisé en 2007, « En attendant Pasolini », a certainement une valeur ajoutée, par rapport aux films précédents, en ce qu’il traite le rapport si épineux de la fiction et de la réalité ou tout simplement l’articulation du cinéma et du quotidien. Engagé, au sens artistique, Daoud Ouled-Syad sait donner du sens grâce à un regard à la fois réaliste et satirique. De ce fait, son souci, semble-t-il, est de donner à voir une matière tout en instaurant une certaine distanciation, à l’instar de Brecht dans le théâtre et du cinéma italien.


I. Une mise en abyme : le thème du cinéma :
Comme l’a souligné Daoud Ouled-Syad à maintes reprises, le cinéma a toujours constitué, pour lui, un sujet de prédilection. C’est pourquoi, le documentaire que Ali ESSAFI a réalisé sur les figurants de Ouarzazate l’a tellement touché qu’il a décidé de réaliser une « fiction » autour du même motif, en faisant appel à un scénariste distingué, son préféré Youssef FADEL. Cut : En attendant Pasolini.
Ce thème cinématographique se manifeste dans l’évocation d’une grande figure du cinéma italien, à savoir Pier Paolo Pasolini (2) : un film (Œdipe-roi) et une image (poster-substitut à qui s’adresse Thami avec véhémence). Un « homme de bien », comme le répète la chanson, ce réalisateur se transforme en un personnage mythologique, puisque Thami fait croire aux villageois que son ami d’il y a quarante ans est de retour. Tel le cinéma, ce mensonge a pour fin de secouer les esprits et de faire rêver les gens et leur donner espoir. Mais à la différence de ce Godo beckettien que l’on attend et qui ne vient jamais, Pasolini est celui même qui fait bouger les choses et les êtres : on se réveille tôt, on se réunit, on sélectionne, on passe au casting, on apprend l’italien, on construit d’autres chambres, on gagne de l’argent et on fait la fête. Ainsi, cette image d’ouverture, où le réalisateur met l’accent sur le vide de du paysage et sur le vent qui souffle, est comme dépassée par le reste du film. En effet, l’arrivée du cinéma – par personnification – est annoncée sous les signes de la fête. A ce propos, tout se passe comme si Daoud Ouled-Syad annonçait déjà la couleur de son film, qui s’inscrit, en gros, dans la tradition burlesque.
Le cinéma est traité également à travers le rapport que « En attendant Pasolini » entretient avec d’autres films. Ce rapport est soit explicite, comme avec « Œdipe-roi », soit implicite, comme le cas du film de Ali ESSAFI. Cet intertexte (3), s’exprime parfois dans des citations fort intelligentes, qui constituent un clin d’œil à d’autres corpus. Il est loisible de les classer ainsi :


Citation dans « En attendant Pasolini »
Film où le procédé est déjà utilisé

 Le microphone qui trahit un secret  « Kit-kat » de Daoud Abd-Syad
 Faire dérouler des images dans une boîte  « Bahib cima » (J’aime le cinéma) de Oussama Fawzi
 Le casting  « La Boite magique » (4)
 …  …



Citation dans « En attendant Pasolini »
Film où le procédé est déjà utilisé

 Le microphone qui trahit un secret  « Kit-kat » de Daoud Abd-Syad
 Faire dérouler des images dans une boîte  « Bahib cima » (J’aime le cinéma) de Oussama Fawzi
 Le casting  « La Boite magique » (4)
 …  …

Grâce à ces motifs cinématographiques, le spectateur accède non seulement au monde réel des figurants, mais également à l’univers des studios de Ouarzazate et, partant, à celui de certaines fictions du septième art. Telle une chambre d’échos, le film de Daoud devient cet espace même où les cinémas du monde se répondent.



II. Un cinéma burlesque :
Rien de plus amusant, chez Daoud Ouled-Syad, que ce penchant – comme infantile et naturel – de désamorcer le côté dramatique de la réalité prosaïque en recourant au procédé de la satire. Nombreux sont les personnages et les situations qui illustrent une telle idée. Pour s’en convaincre, il y a lieu d’en citer quelques exemples. Le Fqih est un homme de religion, mais il a une telle passion pour les femmes qu’il finit par tromper son ami en lui proposant d’aller à la Mecque. Aussi, le metteur en scène se plait à abolir les frontières de la fiction et de la réalité en mélangeant les registres. Que de plaisir de remémorer cette scène des figurants, jouant des soldats dans un film romain, et qui, lors d’une pause, se joignent à un cortège funèbre en psalmodiant des phrases en arabe. Ainsi, la superposition de la langue arabe et de l’accoutrement romain crée une sorte de décalage dont la conséquence principale est le comique. Une autre scène mérite aussi d’être signalée. Figure de la censure, le mokadem, sous la tutelle du caïd, ordonne au réalisateur du film « La Bible » de supprimer toutes les répliques jugées inadéquates. Cela signifie que le cinéma est, sans contestation, l’art du possible et de l’impossible.
Plus que gags, ces situations burlesques témoignent, chez Daoud Ouled-Syad, moins d’un désir de narrer que d’une volonté de montrer – c’est-à-dire donner à voir.






III. Une critique de la réalité :
Ce regard scrutateur n’est pas pour autant neutre. Daoud Ouled-Syad opte pour une vision ironique, dans la mesure où il met en scène des bribes de vie non seulement pour que l’on en rie, mais que l’on soit à même de les évaluer. Derrière leur grandeur, que, très souvent, l’écran nous donne à voir, il faut savoir lire également la misère de ces figurants de Ouarzazate. Faisant preuve des prestations époustouflantes dans des films internationaux, dont « The Jexel of the Nil » de Lewis Teague, « Kundun » de Martine Scorsese, « Cléopâtre » de Frank Roddam et « Gladiator » de Ridley Scott, ces comparses sont exposés au risque de leurs condition fragiles : tournage des films, corruption ( la somme d’argent que l’on verse au mokadem dépend de l’importance du rôle que l’on joue dans un film).


IV. Pour conclure :
Engagé, le cinéma de Doaud Ouled-Syad rend hommage à la fois au cinéma italien, à travers Pasolini, et au cinéma marocain, grâce à des figurants, qui ont contribué infailliblement à la réussite d’un bon nombre de films étrangers.
Au reste, le réalisateur a pu extraire de cette réalité prosaïque toutes les beautés des hommes et des choses.



Bouchta FARQZAID




























Notes :



1) Ce film a remporté le prix du « Grand film arabe » au Festival international du Caire et l’ « Ousfour d’or » de Safi, lors de la sixième édition.
2) Ecrivain, scénariste et réalisateur italien (1922-1975) : L'Évangile selon saint Matthieu en 1964, Œdipe-roi en 1967, Contes de Canterbury en 1972, Mille et une nuits en 1974…
3) Gérard GENETTE, Palimpseste, Paris, Seuil, 1992. Cf. p. 8 où ce critique définit l’intertextualité comme « relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire éidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre ». Citation, plagiat, allusion sont quelques modes d’actualisation d’un tel rapport de l’hypertexte et de l’hypotexte. Le film de Fouzi BENSAIDI "What A Wonderfull World" en est fort illustratif.
4) Il s’agit d’un film italien où le personnage principal, à la demande d’un réalisateur, fait le tour de l’Italie pour choisir des futurs comédiens. Partant, il découvre tous les paradoxes que recèle ce beau pays.

jeudi 30 octobre 2008

Ecrire le scénario

Etape ----- --- Parcours du héros --------- Etats


Première : Le monde ordinaire = Présentation des personnages, du décor…

Deuxième : Appel de l’aventure = (événement de perturbation) Message, messager, rêve, fantasme, affiche, rencontre, manque…

Troisième : Refus/acceptation de l’appel
(suspense) = Retarder ou accélérer le déroulement de l’histoire

Quatrième : Rencontre avec le Mentor = Un adjuvant : motiver, conseiller

Cinquième : Passage du premier seuil (péripétie1) = Première réaction du héros

Sixième : Tests, alliés et ennemis
(péripétie 2) = Deuxième réaction du héros

Septième : L’approche du cœur de la caverne
(péripétie 3) = Troisième réaction du héros

Huitième : L’épreuve suprême (crise centrale)
(péripétie 4) = Quatrième réaction du héros

Neuvième : La récompense
(dénouement) = Posséder une épée magique, s’emparer de la bague…

Dixième : Le chemin de retour
(situation finale a) = Décision : retourner ou pas

Onzième : La résurrection
(situation finale b) = Se faire un autre statut

Douzième : Le retour avec l’élixir (dénouement)
(situation finale c) = Apporter le salut au village, à la famille

mardi 15 juillet 2008

16. Kirikou est à Rabat

0. Cinéma d’animation à Rabat :

Le Festival International du Cinéma d’Auteur de Rabat, qui s’est déroulé du 21 au 30 juillet, est une manifestation qui a pour objectif non seulement de créer un espace de rencontre et d’échange entre les différentes nations et les différents genres cinématographiques, mais également de contribuer à la diffusion des films de qualité, comme « Le Cahier » de Hana MAKHMALBAF, « Le Bonheur d’Emma » de Sven TADDICKEN, « l’Homme qui marche » de Aurélai GEORGES, « Armin » de Ognjen SIVILIC, « Pièces détachées » d’ Aaron FENANDEZ, « Tricks » d’Andrzej JAKIMOWSKI… C’est dire qu’il y a de quoi faire plaisir aux cinéphiles, en ce que le programme était si varié qu’il répondait à tous les goûts : compétition officielle (12 films), hors compétition (avant-premières), découvertes (cinéma original), cinéma du monde (films rares), documentaire, cinéma maghrébin, hommages (Latif LAHLOU, Badia RAYANE, Nadia LJOUNDI), séances pédagogiques, leçon de cinéma (Nabil El MALEH), ateliers (scénario, montage), débats et la section enfant.

C’est dans ce cadre que le jeune public rbati a eu la chance de faire connaissance de Michel Ocelot et, sur le grand écran du Septième art, de sa trilogie filmographique de longs métrages, à savoir « Kirikou et la Sorcière » (1998), « Kirikou et les bêtes sauvages » (en corrélation avec Bénédicte Galup, 2005) et « Azur et Asmar » (2006). Le but des organisateurs était, sans doute, de « sensibiliser enfants et adolescents aux problèmes concrets de la société tout en conservant la part magique propre au septième art ».



1. Michel Ocelot :
Né en 1943 à Ville-franche-sur –Mer, sur la côte d’Azur, il a vécu son enfance en Afrique (La Guinée) avant de s’installer à Paris. Après des études des Beaux arts, il s’exerce au cinéma d’animation dans lequel il va s’illustrer.



2. Kirikou et la Sorcière : un conte en image :

« Kirikou n'est pas grand, mais il est vaillant »

Il y a lieu de rappeler que le premier film est tiré d’un conte que le réalisateur a déformé pour des raisons esthétiques et didactiques. Comme le texte d’origine, ce film reproduit, en réalité, la structure du récit classique. En effet, Kirikou est un sujet exceptionnel, dans la mesure où sa naissance s’inscrit sous le signe de l’autonomie : c’est un noir de très petite taille, qui s’enfante tout seul et rompt de ses propres mains le cordon ombilical. A cet enfantement singulier, il faut ajouter l’idée que Kirikou jouit d’un pouvoir extraordinaire du fait qu’il prend la parole au sein même du ventre de sa mère. Son destin semble être déjà tracé, lorsqu’il apprend par sa mère que l’absence des hommes de sa tribu est due à l’existence d’une sorcière anthropophage : Karaba. Et Kirikou s’ingénie à combattre cette femme superbe et cruelle, qui a fait assécher la source. Il lui faut donc triompher du Mal en faisant face à une suite d’obstacles dont les enfants de la tribu, son oncle, les fétiches redoutables, le monstre, les bêtes, le serpent…etc. Cela permet de mettre en exergue les qualités du petit héros (bravoure, audace…) et des forces auxiliaires (mère, grand-père (sagesse)).




Pour délivrer son village de l’emprise maléfique, Kirikou recourt donc à ce qui constitue les origines même de sa tribu : le grand-père. Celui-ci va lui a révéler les secrets des choses. Ainsi, cela permet à Kirikou de vaincre la sorcière en lui volant son trésor d’or et en lui enlevant l’épine que les hommes lui ont introduite dans la colonne vertébrale.



3. Kirikou et la Sorcière : une leçon d’amour et de pardon

Sur le plan symbolique, le voyage que Kirikou va entamer, de sa mère à son grand-père en passant sous le sol, représente un passage initiatique, dans la mesure où il permet au héros de réaliser deux choses complémentaires et cohérentes : passer de l’enfance à la maturité (petit/grand) et de dévoiler le secret de Karaba. En effet, cette femme, contrairement à ce que soutiennent les villageois, est victime d’un viol perpétré par les hommes du village, comme en témoigne ce symbole phallique (l’épine). En introduisant le baiser magique et le mariage de Kirikou et Karaba, dans la trame narrative, Michel Ocelot va plus loin que l’auteur du conte, car il met en scène le pouvoir de l’amour et celui du pardon. Ces deux notions vont être développées davantage dans « Azur et Asmar », où les deux personnages, malgré leur différence de couleur (Azur/Asmar) et de langue (français et arabe) découvrent qu’ils ne sont en fait qu’un.

Par ailleurs, la sexualité et la politique entretiennent des rapports tellement ambigus que Karaba serait cette Afrique qui souffre des traumatismes et qui attend « un petit, mais qui peut beaucoup ». Partant, la délivrance de cette Afrique, qui endure les calvaires, ne vient ni du FMI ni de la Banque Mondiale que dénonce le film de « Bamako » de Abderrhmane SISSAKO, mais du citoyen africain, si minuscule soit-il, qui est appelé constamment à faire preuve de courage et de lucidité afin de mettre fin à toutes les superstitions, et à combattre la peur, qui en est l’origine principale.

4. Pour conclure :
Et dans un processus de contagion, l’enfant-spectateur apprend, autant que le héros du film, que le Mal est une question relative, qu’il n’est, trop souvent, que cet iceberg dont on ignore la plus grande partie, mais surtout qu’il faut le déraciner, pour que naisse un monde d’amour,de paix et de bonheur.





Bouchta FARQZAID

15. Crime, châtiment et passion

Primé lors de la huitième édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga (lauréat de la première œuvre), « Taïf Nizar, ou l’affaire de Mohamed Sebbar » est le premier long métrage de Kamal Kamal, sorti en 2002. Ce film s’inscrirait dans la tradition des genres policiers, qui mettent en scène des sujets d’ordre social, politique et philosophique, en ce que il traite de la question de la peine capitale.


A. Un crime ordinaire :


En effet, le crime est thème fédérateur de « Taïf Nizar ». D’emblée, le spectateur est en face d’un « accusé », nommé Ahmed Sebbar, qui est censé avoir tué sa femme et ses quatre enfants. Ainsi, le présumé coupable ballote entre trois institutions capitales, à savoir le tribunal, la prison et l’hôpital. Hormis le jeune magistrat, l’institution judiciaire n’est là que pour souligner la culpabilité d’Ahmed Sebbar. L’institution pénitentiaire fonctionne comme cela qui écrase davantage le personnage, en ce qu’elle représente toutes les formes du mal : malnutrition, maladie, claustrophobie…A ces deux premières s’ajoute l’institution clinique où le jeune Khaled, à la différence des magistrats et des geôliers, éprouve une sorte de sympathie pour Sebbar.

Avec ce médecin, commence, en réalité, ce qu’il est possible d’appeler « l’enquête policière », telle que l’on trouve dans les films noirs. En ayant le sentiment qu’Ahmed Sebbar est innocent, il lui rend visite dans sa cellule et rejoint, par là, le jeune magistrat.


B. Un crime politique :

Grâce à des flashs-backs, qui traversent le récit filmique, le spectateur dévoile progressivement l’énigme de notre héros. En effet, Ahmed Sebbar – apprend-on – est un ex-agent de police (un retraité), qui a assisté à des scènes de torture lors des interrogatoires des militants sous un règne de plomb, comme couper la main d’un étudiant.
L’on apprend également que Ahmed est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, en ce que c’est son chef, à lui, qui a mis à mort les membres de la famille de Sebbar, afin que celui-ci garde le silence sur des événements tragiques dont il était témoin oculaire. Sa seule chance est de se taire pou que sa fille survive.

Or, symboliquement, le bourreau n’en sera point gracié, puisqu’il a fini par être châtie de ses propres actes en se brûlant. Le paroxysme de la condamnation s’exprime encore une fois dans la scène ou Khaled crachera sur le tortionnaire. Cette scène doit stigmatiser une page noire de notre histoire. Témoin oculaire, Ahmed préfère ainsi de ne pas révéler la vérité. De ce fait, son silence s’inscrit dans une sorte de négativité, parce que c’est le sort de tout un pays qui en dépend. La passivité de ce personnage lui coûte la peine capitale (entendez une autre réprobation, s’il vous plaît !).

Or, Ahmed n’est aussi négatif que l’on peut croire. Au contraire, lors d’une conversation avec le jeune médecin, il lui fait part, mine de rien, des injustices perpétrées durant les années de plomb.


C. Justice et passion :

Partant, le crime perpétré contre la famille d’Ahmed Sebbar se trouve dramatiquement dépassé par un crime contre la société, voire contre l’Humanité. Et c’est là que le rôle de la justice devient impérativement capital. Le réalisateur, Kamal Kamal, semble, à dessein, jouer ironiquement sur l’allégorie judiciaire, dans la mesure où les yeux bandés, qui font allusion à l’intégrité et à l’équité, deviennent, dénotativement, signe de cécité.

A ce propos, tous les efforts du jeune magistrat et de l’avocat sont nuls et non avenus. Le juge et les autres magistrats ont déclaré, à l’unanimité, coupable un homme innocent, et passent, pour ainsi dire, pour de vrais criminels. Le verdict a été dicté par un impératif, à savoir le Devoir. Cette notion, paraît-il, contient dans le film toutes les contradictions de la pratique du Pouvoir, lequel s’oppose aux valeurs humaines. Car, comment se fait-il qu’un homme puisse juger un autre ?

Le discours judiciaire devrait être donc humanisé pour être mené à bien. Il lui faut prendre une âme sœur qui n’est que l’Amour, un concept qui est à même de résoudre tous les problèmes du monde, comme le souligne un marginalisé dans le film. Il est possible de constater qu’effectivement cette notion humaine fait défaut chez le juge, les magistrats, les geôliers, et évidement, le Tortionnaire (Mustapha Jamal). En effet, la femme du juge, Leila, est, dans ce sens, une figure emblématique de cette passion amoureuse et de cette tendance épicurienne, laquelle, grâce à son corps, met en crise ces formes doxologiques. Pour s’en convaincre, il faut rappeler la façon tellement érotique dont elle se comporte, en buvant un jus d’orange, en présence du ministre de la Justice. Aussi aime-t-elle danser et se maquiller de façon incongrue. Sa provocation atteint son paroxysme avec la relation d’adultère qu’elle entretient avec le jeune magistrat !

Et c’est là qu’intervient l’âme de Nizard à travers sa voix, qui, elle, semble apporter une réponse à la question si brûlante de la Peine Capitale. Elle permet, notamment, de faire face à toute forme d’absurdité qui menace l’existence de l’Homme et de stigmatiser le souci de comprendre l’Autre ; faute de quoi, tout le monde est condamné à devenir fatalement criminel.








En somme, « Taïf Nizard » ou l’affaire de Mohamed Sebbar véhicule indéniablement un message à la fois politique et poétique. La voix poétique triomphe on ne peut plus de la méchanceté politique.





Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, samedi-dimanche, 7-8 juin 2003

14. Petite réflexion autour du colloque international de

I. En guise d’introduction :
Pour les organisateurs du Festival international des arts visuels et les nouveaux médias (FAN), la notion de « contemporain » « s’applique à un art qui prétend toujours renouveler les formes traditionnelles de la création »(1). Lors d’un colloque, auquel ont participé des artistes des critiques, des universitaires et des cinéphiles, moult axes ont été abordés. Cette rencontre était une occasion idoine pour réagir à des thèses négativistes, telle que la « nullité de l’art » avancée par Jean BAUDRILLARD (2), entre autres.
En effet, beaucoup de critiques pensent que la vidéosphère, comme l’appelle Régis DEBRAY (3), est une ère paradoxale, en ce qu’elle contient en elle-même la mort de l’art. Ainsi, fin de l’homme, fin de l’Histoire et fin de l’art semblent être des questions inhérentes à notre contemporanéité.



II. L’art contemporain :
Art actuel, art technologique, art en mouvement sont autant de nominations pour le même produit. Pour reciter Jean BAUDRILLARD, il faut rappeler que pour lui, l’art est tombé en crise du moment qu’il s’est trouvé incapable de suivre le processus d’innovation accomplie au sein de la télévision. Cette innovation se traduit, à dire vrai, dans trois aspects, à savoir : l’instantanéité, la simultanéité et la multiplicité. Aussi, la fin de l’art est due au fait que ce dernier « a épuisé, semble-t-il, tous les thèmes. C’est pourquoi, il est souhaitable que cet art s’oriente dans le sens de « l’intéraction » » (4). Artistique, ce mode d’expression doit être cela même où toutes les frontières deviennent poreuses en vue de pallier à ce « déficit du sens ».

a) Image et temps:
Pour Edmond Couchot (5), l’apport de l’art réside en ceci qu’il permet de mettre en scène deux temporalités fort différentes, celle de l’imageur et celle du regardeur. Celles-ci sont différées dans la photographie et le cinéma, mais simultanées à la télévision. A cet égard, il serait bon de rappeler que Roland BARTHES parle, à propos de la photographie, d’une troisième temporalité qu’il qualifie d’historique. Loin de signifier le temps, cette photographie le devient. Dans La chambre claire (6), ce phénoménologue désinvolte, cite notamment une photo d’August SALZMAN, dans laquelle celui-ci donne à voir le chemin de Beit-Lahem : un sol pierreux et des oliviers. La conscience du récepteur se trouve troublée par la superposition du temps de l’operator (imageur), du temps du spectator (regardeur) et celui de Jésus CHRIST.
Partant, la crise de l’art est due probablement moins au « manque de valeur esthétique » qu’à une exclusion de ce qui fait l’essentiel de toute forme d’expression, c’est-à-dire l’Histoire ou encore l’Homme.
Par ailleurs, l’art vidéo est une forme artistique qui s’inscrit dans une ère de foisonnement numérique, qui lui permet de mettre en exergue une nouvelle expérience par rapport et au temps et à l’espace. En mettant en scène un « temps en puissance », la vidéo devient, par là même, l’art de la non-linéarité et des bifurcations par excellence.



b) Image et mouvement :
Il est vrai que la photographie, la télévision, le cinéma et la vidéo n’ont pas le même statut, dans la mesure où ces expressions artistiques offrent un traitement particulier du réel. Analogique ou virtuelle, l’image note soit une immobilité des êtres (dessin, peinture, photo) soit un mouvement (dessin animé, cinéma, vidéo).
Mais, à voir de très près, on constate que le mouvement, dans cet art cinétique, n’est qu’une illusion d’optique, moirages ou autres. C’est pour cela que Roland BARTHES insiste sur une nouvelle phénoménologie de l’image cinématographique, à laquelle Gilles DELEUZE a consacré un essai époustouflant (7) où il somme le spectateur à s’investir dans le temps filmique à travers l’excitation de ses fonctions sensori-motrices.



III. Pour conclure :
Par rapport aux autres formes d’expression, il y a lieu de reconnaître que l’art vidéo, en puisant dans des nouvelles technologies, reste un outil qui participe à la transformation du champ visuel, tant au niveau de ce qui est perçu qu’ au niveau du mode de la perception. Par conséquent, il doit être doté d’une stratégie fort adéquate pour « responsabiliser » et l’artiste et le récepteur, d’autant plus qu’il constitue aujourd’hui une prise en charge de l’imaginaire et des affects, et qu’il est à la portée de tout le monde.
En somme, qu’est-ce que la création, dans un temps où il est trop difficile de faire le partage entre ce qui est « art » et ce qui ne l’est pas ?

« Choquer », « provoquer » et « innover », oui. Mais, comment et à quel prix ?


Bouchta FARQZAID


















1. Ce sont des propos du directeur de l’Association Irisson, Mjid JIHAD, et du directeur du Festival, Mjid SADATI. Voir le grand dépliant du Festival, tenu Casablanca entre les 21 et 26 avril 2008.
2. Sociologue et philosophe français (1929-2007). Il a écrit par exemple, Système des objets et de La Société de consommation.
3. Régis DEBRAY, Vie et Mort de l’image, France, col. Essais, Gallimard, 1992
4. Du même dépliant.
5. Docteur d’état et professeur émérite des universités, membre des recherches du Centre Images numériques et Réalité virtuelle, Paris.
6. Roland BARTHES, La Chambre claire, France, Cahiers du cinéma, Ed. de l’Etoile, Gallimard, Le seuil, 1980
7. Gilles DELEUZE, L’Image-mouvement, France, Editions de Minuit, Collection : Critique, 1983. Cf. les six notions clés : l'image-perception, l'image-action, l'image-affection, l'image-pulsion, l'image-reflexion et l'image-relation.

Autour du premier Festival du cinéma des jeunes

0. En guise de présentation :

Il est indéniable que le premier Festival du cinéma des jeunes représente concrètement cette pluralité dont témoigne le Maroc tant sur le plan géographique que culturelle. En effet, les vingt courts métrages qui étaient en lice venaient de différents horizons, à savoir Kénifra, Béni Mellal, Kénitra, Khouribga, Casablanca, Fès, Nador, Skhirate et Tétouan.
Un jury présidé par Saâd CHRAIBI a été désigné pour récompenser les lauréats prometteurs.
Grâce à la projection de films, aux débats qui s’en sont suivis et aux ateliers, qui ont été animés par Aziz ZAÏTOUNI (Prise du son), El Bakouri AMINE (Cinéma d’animation), Hamid AYDOUNI (Analyse filmique), Kamal TAMSAMANI (Image), Latifa NAMIR (Montage), cette rencontre permettait, sans doute, aux jeunes artistes d’évaluer leurs œuvres, tant sur le plan technique qu’esthétique, en termes de genre, de récit, de style et de pertinence.


I. Les thèmes :

Ces films en compétition traitent des sujets variés, mais dont le quotidien constitue une référence déterminante. A l’instar du cinéma marocain, ils reproduisent en quelque sorte des thèmes déjà débattus, que, sans les développer, on peut classer comme suit :

A. La marginalisation et l’incommunicabilité et leurs conséquences fâcheuses sur l’individu et la société, comme c’est le cas dans « Les Oubliés », « L’Illusion », « Rêves silencieux », « Souk des sourds », « Le portail », « Conflit », « Retour », « Le voleur », « Trabajo », « Quête de destin » et « Sur une feuille blanche »

B. La drogue : ce fléau est à relever dans « Trop tard… », « Cas du 36 », « La Fumée du tabac » et « Défi »

C. L’affect : « Dépression »


D. L’image : si jeune soit-il, ce cinéma ne s’est pas pour autant désintéressé de ce qui fait la matière de l’art visuel : la photographie (Les oubliés) le cinéma (Silence du cinéma), la peinture (Tableau pictural) et la télévision (Zapping).

II. Le genre :

A cet égard, diverses factures génériques sont à signaler. Car, si la plupart des courts métrages mettent en scène un drame et social et culturel, « Souk des sourds » s’inscrit dans une tradition populaire de genre comique, tandis que « Mariage illégal » est plutôt du côté fantastique et que les réalisateurs du « voleur » et du « Conflit » ont opté pour une autre esthétique, à savoir « le film d’animation »

III. Le colloque :

Il est à rappeler que les organisateurs ont trouvé judicieux d’organiser ce colloque sous le titre de « Cinéma des jeunes : création et production ». Y ont participé Youssef AIT HAMMOU (chercheur), Mohamed BAKRIM (responsable au CCM), Khalil DAMOUNE (critique), Yacine BELARAB (directeur de la section de la jeunesse) et Hamid AYDOUNI (modérateur).
Pour ce dernier, ce festival s’inscrit dans une continuité part rapport aux autres festivals, qui, eux-mêmes, sont ancrés dans des valeurs de modernité, de démocratie et de liberté.
Monsieur Yacine BELARAB a pris la parole pour souligner que la Maison des Jeunes est dépendante, en premier lieu, de la volonté des jeunes artistes et que l’objectif de ce festival est de contribuer, à l’aide des spécialistes en la matière, à l’amélioration et au développement des compétences des talents en herbe, d’autant plus que l’image est, aujourd’hui, l’outil d’expression le plus efficace.
Après avoir distingué le support cinématographique et le support télévisuel, et départagé cinéma amateur, cinéma professionnel et cinéma spontané, Monsieur Youssef AIT HAMMOU, lui, a noté quelques caractéristiques dans les films en compétition, telles que l’absence de la culture populaire et de l’adaptation ; la récurrence des flash-backs, de l’effet (intérieur : maison…).
Un des fondateurs de la Fédération nationale des ciné-clubs au Maroc, Khalil DAMOUNE a soutenu l’idée que ce Festival représente une continuité de ce que les anciens combattants de l’image, dont monsieur Nour-eddine SAÏL, ont entamé au sein des ciné-clubs : la culture de l’image. Aussi, il a sommé les jeunes réalisateurs à s’auto-former et à se spécialiser en vue de pouvoir créer dans les normes reconnues. Pou lui, ce « cinéma spontané » ne doit point être objet de critique, dans la mesure où toute évaluation, pour être objective, est appelée à tenir compte des conditions dans lesquelles ces films ont été produits.
Lors de son intervention, Mohamed BAKRIM a commencé par mettre l’accent sur la relativité de la dénomination « jeune » et sur la « «générosité » du cinéma pour encourager les jeunes artistes à œuvrer davantage, car l’image est le moyen le plus fréquent pour traduire l’imaginaire marocain, individuel et collectif. En plus, il a avancé que le cinéma marocain connaît, ces dernières années, un dynamisme assez poignant qui se manifeste dans la production (entre 15 et 20 longs métrages et 50 et 60 courts par an), la visibilité (présence du film marocain des les Festivals et sa place au Box-office au Maroc) et la diversité (thèmes, genres et générations). Cela s’explique, d’après ce critique, par un héritage cinéphilique au Maroc (la Fédération nationale des ciné-clubs au Maroc), par la volonté et la passion de quelques pionniers, comme Abd-Er-rahman TAZI, Abd El Kader LAKTAA, Mustapha DERKAOUI entre autres, et par la volonté publique traduite dans le Fonds d’aide et Le Festival de Marrakech, qui constitue à vrai dire une locomotive pour le cinéma marocain.
Lors du débat, les participants ont pu poser des questions aux responsables du secteur. Certaines de leurs remarques se résument ainsi :
1) Manque de matériel au sein des Maisons des Jeunes (caméra, lecteur DVD…)
2) Manque de formation en matière du cinéma
3) Problèmes juridiques (autorisation…)
4) Nécessité de créer des réseaux des jeunes réalisateurs à l’échelle nationale
5) Définition des critères de sélection (La délégation de Tétouan a taillé la part du lion avec cinq (05) films sur vingt (20))
6) Raison de la programmation du film « Rêves silencieux » en séance d’ouverture.



IV. Pour conclure :
Chasseurs d’image, ces jeunes artistes seraient exposés à des pénalités juridiques (filmer des personnes à leur insu). Aussi sont-ils imbus d’une tradition télévisuelle qu’il faut mettre toujours à distance pour faire du bon cinéma.
En somme, il est beaucoup de stéréotypes et des idées préétablies sur les métiers du cinéma qu’ils appelés à détruire doucement mais sûrement.
Ceci est un travail d’accompagnement.

Bouchta FARQZAID

13. « Cinéma de cœur » à Khouribga

C’est une conviction, à présent, que d’avancer que si on aime la vie, non seulement on va au cinéma, mais surtout on en fait. Telle semble être la devise du Festival des Arts, qui s’est déroulé du 21 au 23 mai, et organisé par la délégation du Ministère de l’Education nationale de Khouribga (Académie de Settat), sous le thème « Les Arts éducatifs au service du Civisme ». Musique, peinture, théâtre et cinéma y étaient les axes principaux.


A cet égard, sept courts métrages ont été sélectionnés à la compétition finale :
 « Lahrigh » de Z. Driss
 « Trouble de mémoire » de Abdel kébir Chmaiti
 « Epoux d’Ishtar » de Mohamed Hassoun
 « Au bout de la chute » de Rabi Amal
 « Kilomètre 5 » de Mohamed Kouiess
 « Photogénique » de Mourad Bitil
 « Extra-ordinaire » de Mohamed Onk


La première remarque qu’il est aisé de faire, c’est que ces différents films témoignent d’un investissement épatant du côté des équipes ayant présidé à leur réalisation. Nonobstant les faiblesses que l’on peut déceler au niveau technique (scénario, réalisation, montage…), ces courts métrages mettent en scène des thèmes variés qui ne touchent pas uniquement à la chose éducative, mais aussi à l’imaginaire collectif, en général : la scolarisation, l’handicapé et l’école, la drogue, la migration clandestine, la politique et l’Etat, et l’aliénation.


Un jury composé de trois critiques s’est chargé d’évaluer et surtout d’encourager les futurs artistes à travers des mentions et des prix, qui se présentent comme suit :

 Une mention spéciale à la future réalisatrice pour son film « Au bout de la chute » (une seule femme, c’est trop peu !)
 Une mention en ex æquo à deux acteurs principaux dans les deux films « Photogénique » et « Epoux d’Ishtar »
 Premier prix : « Epoux d’Ishtar » de Mohamed Hassoun
 Deuxième prix : « Kilomètre 5 » de Mohamed Kouiess
 Troisième prix : « Photogénique » de Mourad Bitil


Ce même jury a rédigé un rapport très détaillé qu’il a soumis au comité d’organisation, et dans lequel il a mis l’accent sur les points dont il faut tenir compte pour la prochaine édition. Ils se résument ainsi :

 Le cinéma est un art très complexe, car il demande investissement et étude ; d’où la nécessité de programmer des ateliers de formation en matière de scénario, de réalisation, de montage et d’interprétation au profit des professeurs et des élèves.
 Excepté le film de « Photogénique » de Mourad Bitil, les génériques des autres films ne mentionnent plus la source des morceaux musicaux, qui ont été exploités – mal d’ailleurs- par les « réalisateurs ». D’où le respect du droit de l’auteur, car cela est un acte civil.
 Rares sont les professeurs-femmes qui se sont impliquées dans cette activité cinématographique. D’où l’obligation de les encourager à faire un art, qui est en lui-même un signe de modernité.
 Loin d’être des animateurs, les professeurs taillent la part du lion dans la production (scénario, montage, réalisation…). Cela reproduit, à vrai dire, la conception assez surannée de l’école où le maître est détenteur du savoir.
 La programmation de deux films, à savoir « Lahrigh » et « Epoux d’Ishtar » a tendu la perche au jury pour faire réfléchir à la dénomination du « film éducatif ». D’où la nécessité d’élaborer un règlement du concours, dans lequel il sera défini avec minutie ce genre de film (spécificités, thématique, objectifs, production…), d’autant plus qu’à partir de la prochaine édition, la délégation de Khouribga compte organiser un Festival régional entièrement consacré au septième art.



En somme, ces festivals sont fort utiles, en ce qu’ils montrent clairement que la mission de l’Ecole marocaine est encore possible : expression, formation, démocratie, civisme, liberté…
Beaucoup de signes réunis sont prometteurs pour les éditions à venir.






Bouchta FARQZAID

jeudi 10 juillet 2008

« Music Box » : un film politique ?

« Music Box » : un film politique ?

Le ciné-club de Khouribga a clos ses activités, pour l’année 1993, par la projection d’un film de Costa Gavras, à savoir « Music Box », sorti en 1990.

Ce long métrage raconte l’histoire d’une avocate américaine qui, un jour, se trouve bouleversée par une nouvelle parvenant du service secret américain, selon laquelle, son père, d’origine hongroise, est accusé d’avoir été, en 1994, un criminel de guerre, un fasciste qui a atrocement torturé et exécuté des Juifs.

En effet, c’est par le biais du dialogue que certains faits sont remémorés et réactualisés, tels : faire faire la pompe aux Juifs sur des « baïonnettes » fixées au sol ; les attacher au moyen des fils barbelés et les jeter vivants dans un fleuve ; violer des jeunes filles en fleur ( 16 ans)…

Hormis ces analepses linguistiques, l’intrigue du film est cinématographiquement linéaire.

Terrorisée, l’avocate se décide de bonne foi d’assurer la défense de son père, qu’elle croit fermement et surtout aveuglément innocent. Cette défense s’ébauche au nom de la « famille », tels la fille, le neveu, le beau-père, les ouvriers, qui constituent ses adjuvants, face à la foule (les manifestants) qui représente ses opposants.


Or, la situation du spectateur est problématique, en ce qu’il se trouve à cheval entre les deux types d’actant. En réalité, la caméra porte un regard neutre (de l’extérieur) sur celui qui est censé d’être criminel : teint pâle, cheveux blancs, indifférence, affection envers le neveu…Elle évite, par là, toute mise en relief d’une information d’ordre psychologique ou relative à son passé. La focalisation adoptée dans ce film fait que le spectateur s’identifie à l’avocate : il sait autant qu’elle.

Cependant, un détail, concernant le dénouement, est à noter. La pompe que l’accusé (Lasslo) pratique la nuit dans la chambre de son neveu. Pour Lasslo cet exercice développe « le corps et l’esprit ».

Par ailleurs, cet accusé nous est présenté sous les traits d’un vieux qui se meut dans des espaces clos, qui l’étouffent et le compriment : ce sont la maison, la voiture et le tribunal. La rue est un lieu ouvert, mais auquel il ne peut pas accéder ; car c’est un espace public (la foule) où les injures pullulent.

Il serait intéressant de souligner qu’à l’intérieur du tribunal américain, d’autres espaces sont évoqués, tels Budapest, le Fleuve, la Hongrie. De ce fait, deux espaces se trouvent opposés : les Etats-Unis où le modernisme bat son plein et la Hongrie, comme un espace « exotique » et relevant d’un autre temps : architecture merveilleusement classique, gravure enchantante, un fleuve qui coule sans cesse et qui cache, semble-t-il, des secrets, une statue très élevée et située sur une montagne, comme le témoin d’une période historique. Or, cette beauté du pays hongrois n’est qu’apparente, car elle cèle en elle un drame, telle une blessure.

Et c’est grâce à cette communication presque instinctive avec l’espace des origines que l’avocate réussit à lever le voile sur l’ambiguïté de son enquête (existentielle), car voir les choses n’est-il pas un retour à soi-même ?

Ayant découvert toute la vérité sur son père, l’avocate se trouve déchirée entre le devoir familial (se taire) et le devoir humain (dénoncer son père). Ce dilemme tragique sera résolu dans un dernier plan où l’on voit sur la Une d’un journal toutes les photos-preuves que l’avocate a déniché dans une « box music ».

La planchette annonce : « J. Lasslo est un criminel ».





Bouchta FARQZAID




AL BAYANE, culture, 24/1/1993. p. 6

Regards sur deux films palestiniens

Regards sur deux films palestiniens
« Ar-Rboa Al Akhir » et « An-Nouss »

En collaboration avec La Fédération Nationale des Ciné-clubs et l’Ambassade de la Palestine au Maroc, de le ciné-club de Khouribga a organisé une semaine du film palestinien (1). Longs métrages, documentaires voire dessins animés figuraient au programme dont les activités se ont déroulées du 13 au 17 du mois de mai en 1993.
Ont été projetés deux films, à savoir « Ar-Roboa Al Akhir » de Mohamed Essawalma et « En-Nouss » de M. El Omari.

A. « Ar-Roboa Al Akhir » ou le langage des barbares :

« Ar-Roboa Al Akhir » est un film qui a été produit par l’OLP en 1989. Il n’est point excessif d’avancer que les discours sont loin de rendre la substance moelle des images fort agressives qui nous sont présentées. Leur violence interpelle toute personne dont la mémoire est bel et bien en friche : les actes des israéliens rappellent la barbarie des Tartares dont les textes ne cessent de souligner la teneur : tortures, bombes lacrymogènes, bombardements, brisure des doigts et des coudes… Par ailleurs, les images des victimes font monter les larmes aux yeux : sang, larmes et cris stridents et discontinus, corps mutilés.

A travers les Manifestations et la Résistance, qui sont les deux aspects dominants chez les palestiniens, le documentaire met en scène un peuple qui lutte légalement pour une cause juste : La Terre. Un fragment du Yasser Arafat clôt le film, en annonçant, au milieu des voix, l’Etat de la Palestine dont la capitale est AL Qods.

En somme, c’est un documentaire à voir et surtout à « sentir ».



B. « En- Nouss » ou le langage de la Mémoire :

Le film en question est cela qui assure la communication entre le réalisateur M. El Omari et le spectateur, censé être doté d’une compétence d’interprétation. C’est dire qu’il y a lieu de distinguer deux instances intra-fictive et extra-fictive.

a) Le niveau fictionnel :
Il s’agit de l’univers du film où il est possible de distinguer celui qui parle et celui qui voit. Deux narratrices sont d’abord à relever à savoir la Vieille et les deux jeunes filles.

1. La vieille :
Oum Mazen est celle qui amorce ses récits par ce refrain propre au conte : « il était une fois ». Cette formule sert à instaurer une sorte de distance de l’univers de l’histoire, tant sur le plan du temps (passé), espace (mémoire) et personnages (fictifs ?)… La Palestine nous est ainsi présentée comme un Eden, mais au passé. Des clins d’œil, relatifs aux maisons silencieuses et à l’absence des hommes, sont fort malins. Le présent stigmatise une question qui n’est que brûlante. Le spectateur s’y trouve, par là, comme secoué et amené à décortiquer les signes ostentatoires : euphorie ou dysphorie ?

Les récits-contes inscrivent le film dans une sorte de nostalgie perpétuelle, qui hante les mémoires simplement exilées et celles en léthargie. Récits de la Terre, des aventures, des mariages, des moissons, des morts et des chants populaires ont pour fonction d’impliquer le spectateur dans l’univers narratif : de l’histoire à la diégèse, tel est, semble-t-il, la visée de M. el Omari.

2. Les deux jeunes filles :
Il est à noter que les récits de la vieille sont de temps en temps interrompus par une musique lyrique, assurant la transition aux contes des jeunes filles, lesquels complètent les premiers. Contrairement aux récits de Oum Mazen, ceux des jeunes filles s’adressent à des narrataires intradiégétiques, telle la fille de cinq ans à qui l’on narre des histoires d’amour d’un temps révolu…

Les différents récits garantissent la transmission d’une culture palestinienne d’une génération à une autre. Cette idée peut se schématiser ainsi :

• Plan intradiégétique :


Narratrices : Narrataires :

Jeunes filles : filles ou fille de cinq ans… (2)

La vieille : spectateur abstrait


• Plan extradiégétique :

Destinateur concret : Destinataire concret

Le réalisateur : Spectateur concret



b) la description :

C’est là que la question se pose pour savoir qui voit pour nous. Au niveau de la fiction, quoique ce soit un documentaire, la caméra semble focaliser l’attention les menus détails, relatifs aux objets à l’habit et à l’espace : ustensiles, chaises, nappes, tables, costumes, châle, fenêtres…

En-Nouss est un documentaire ethnographique, et fait partie des films palestiniens réalisés par une nouvelle génération de metteurs en scène qui ont compris que l’identité des Palestiniens est quotidiennement menacée. Et pour faire face à ce monstre d’Oubli ou d’Amnésie, ils se sont ingéniés à réhabiliter les traditions palestiniennes dans les moindres détails de la vie quotidienne : oralité, rites, fêtes sont entre autres quelques ingrédients d’une Mémoire d’un peuple qui croit fermement en lui.





Bouchta FARQZAID
LIBERATION, jeudi 3 mars 1993












1. Cette appellation englobe aussi les films produits en dehors de la Palestine, mais qui traitent cette même cause palestinienne, dont « Les Dupes » de Tawfiq Saleh. Pour plus d’informations, cf. La revue d’« Etudes cinématographiques », N° 2, 1985


2. Ces pointillés signifient qu’il peut y avoir d’autres destinataires virtuels

Le premier film d’un réalisateur irakien

Le premier film d’un réalisateur irakien
« Yamon akhar »

Nouvellement recréé à Boujâad, portant le nom de l’un des cinéastes engagés du cinéma marocain, feu Mohamed Raggab, et dans le cadre de ses activités cinématographiques de la deuxième session de l’année 92-93, le ciné-club a projeté, le 14 mars, un film intitulé « « Yamon akhar » (Une autre journée) du réalisateur irakien Sahab Haddad.

A. Fiche technique :
Le film en question a été produit par l’Institut du cinéma et du Théâtre en 1979.
• Histoire et le montage sont de Sabah Haddad
• Scenario : Sahab Haddad et Attouane Ezzaidi
• Photographie: Nehad Ali
• Musique: Salhi EL Wadi

B. Synopsis:
C’est l’histoire d’un massacre perpétré, au sein d’un désert, contre des bohémiens qui mènent une vie paisible, ancrée dans les délices terrestres, malgré les conditions insupportables du climat. Cet événement tragique, qui ouvre le récit, est dû principalement au conflit opposant une classe d’agriculteurs à certains despotes, dont le souci foncier est de tirer profit du désert et de tout ce qu’il contient : nature, bêtes, hommes…

C. Le contraste :
Le film met en scène une sorte d’opposition qui concerne les personnages et l’espace.

a) les personnages :
D’abord, l’on est en présence d’une classe des seigneurs qui sont d’une élégance et d’un embonpoint remarquables et bénéficient de l’appui d’un certain pouvoir provenant de l’extérieur et de l’assistance d’une classe si instruite (percepteurs, comptables…). Ces premiers mènent excessivement une vie de débauche.
Ensuite, les agriculteurs sont, par contre, de taille normale ou maigre. Comme les bohémiens (sans terre), ils endurent la dureté de l’espace et l’injustice des Cheikhs.

b) l’espace :
Il y a possibilité de distinguer l’espace général, qui est le désert, de l’espace particulier, dont les maisons en pisé pour les seigneurs et les agriculteurs, les tentes pour les bohémiens. Ainsi, l’espace de ces derniers est plus menacé, en ce qu’il est exposé aux aléas du climat infernal du désert et à la cupidité des partisans des cheikhs, qui n’y sèment que crimes, viols et violences.


D. Le récit filmique :
Le réalisateur a recours à un procédé assez courant au cinéma, à savoir l’analepse ou la rétrospection. Elles sont en nombre de trois, dont deux sont principales : la première est actualisée par le bohémien qui agonise ; la seconde est mémorielle de Saïd à la caverne. Cette technique a une double fonction :

1. dilater la durée de l’histoire
2. transgresser le déroulement linéaire des faits

Ainsi, sur le plan du récit, on peut retenir la succession suivante :
1. Massacre des bohémiens
2. Assassinat de Rachid
3. Assassinat de la femme de Saïd

Par contre, sur le plan de l’histoire, en reconstituant les faits, on obtient la chronologie suivante :

1. Assassinat de la femme de Saïd par Rachid

2. Assassinat de Rachid par Saïd



3. Massacre des bohémiens

Ces analepses ont donc une fonction explicative, en ce sens que le film commence par l’avant-dernière scène.




Bouchta FARQZAID
LIBERATION, Vendredi 2 avril 1993, p. 8

Espace et corps dans Ya Soltan Al madina

Espace et corps dans
Ya Soltan Al madina



Deux cités antinomiques semblent dominer le « fond » du film. La première représente la Médina, qui est un espace de toutes les contradictions d’une société traditionnelle : jouissance, interdits, misère, superstition…Elle est aussi un espace de la clôture par excellence, où le spectateur, au même titre que les personnages, se trouve impliqué dès le premier regard, qui suit le mouvement de la caméra qui « pénètre » les ruelles. Ainsi, il y a lieu de parler d’une mise à en abyme du thème de la clôture, en ce que la chambre verrouillée est incluse dans une cité repliée sur elle-même.

En tant qu’ouverture, l’autre cité fonctionne comme un ailleurs, c’est-à-dire un espace d’échappatoire. Ramla rêve de s’y métamorphoser en oiseau qui peut parcourir les cieux de la liberté. Par l’évocation de l’océan, cette ouverture semble être toutefois mystérieuse : vasteté, profondeur mais secret également. En effet, cet espace aquatique sera dévoilé par l’échec de Ramla (sable, devrait-on entendre !) : cette dernière sera violée par des gens qui étaient à sa poursuite…et cette portée à la fois érotique et violente s’exprime dans les indications suivantes :

• Inclinée, la caméra pénètre les portes et les ruelles labyrinthiques
• Le sceau qui tombe dans un puis, image itérative (trois fois : début, milieu, fin)
• Un mouton dont les tripes dégoûtent ostensiblement
• Nudité excessive du corps féminin


Ainsi, les images de « Ya Soltan el Madina », qui mettent en exergue la démolition parallèle du personnage de Ramla et de la cité (el Madina), sont à la fois « invocation » et « provocation », comme l’a souligné le réalisateur lors de la présentation de son film.

D’autres aspects méritent également d’être relevés, tels la narration filmique, l’onomastique des personnages (Ramla, Fraj…).




Bouchta FARQZAID
LIBERATION, Mercredi, 30 mars 1994

Crime, châtiment et passion

Crime, châtiment et passion
dans « Taïf Nizar » de Kamal Kamal


Primé lors de la huitième édition du Festival du Cinéma Africain de Khouribga (lauréat de la première œuvre), « Taïf Nizar, ou l’affaire de Mohamed Sebbar » est le premier long métrage de Kamal Kamal, sorti en 2002. Ce film s’inscrirait dans la tradition des genres policiers, qui mettent en scène des sujets d’ordre social, politique et philosophique, en ce que il traite de la question de la peine capitale.


A. Un crime ordinaire :


En effet, le crime est thème fédérateur de « Taïf Nizar ». D’emblée, le spectateur est en face d’un « accusé », nommé Ahmed Sebbar, qui est censé avoir tué sa femme et ses quatre enfants. Ainsi, le présumé coupable ballote entre trois institutions capitales, à savoir le tribunal, la prison et l’hôpital. Hormis le jeune magistrat, l’institution judiciaire n’est là que pour souligner la culpabilité d’Ahmed Sebbar. L’institution pénitentiaire fonctionne comme cela qui écrase davantage le personnage, en ce qu’elle représente toutes les formes du mal : malnutrition, maladie, claustrophobie…A ces deux premières s’ajoute l’institution clinique où le jeune Khaled, à la différence des magistrats et des geôliers, éprouve une sorte de sympathie pour Sebbar.

Avec ce médecin, commence, en réalité, ce qu’il est possible d’appeler « l’enquête policière », telle que l’on trouve dans les films noirs. En ayant le sentiment qu’Ahmed Sebbar est innocent, il lui rend visite dans sa cellule et rejoint, par là, le jeune magistrat.


B. Un crime politique :

Grâce à des flashs-backs, qui traversent le récit filmique, le spectateur dévoile progressivement l’énigme de notre héros. En effet, Ahmed Sebbar – apprend-on – est un ex-agent de police (un retraité), qui a assisté à des scènes de torture lors des interrogatoires des militants sous un règne de plomb, comme couper la main d’un étudiant.
L’on apprend également que Ahmed est injustement accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, en ce que c’est son chef, à lui, qui a mis à mort les membres de la famille de Sebbar, afin que celui-ci garde le silence sur des événements tragiques dont il était témoin oculaire. Sa seule chance est de se taire pou que sa fille survive.

Or, symboliquement, le bourreau n’en sera point gracié, puisqu’il a fini par être châtie de ses propres actes en se brûlant. Le paroxysme de la condamnation s’exprime encore une fois dans la scène ou Khaled crachera sur le tortionnaire. Cette scène doit stigmatiser une page noire de notre histoire. Témoin oculaire, Ahmed préfère ainsi de ne pas révéler la vérité. De ce fait, son silence s’inscrit dans une sorte de négativité, parce que c’est le sort de tout un pays qui en dépend. La passivité de ce personnage lui coûte la peine capitale (entendez une autre réprobation, s’il vous plaît !).

Or, Ahmed n’est aussi négatif que l’on peut croire. Au contraire, lors d’une conversation avec le jeune médecin, il lui fait part, mine de rien, des injustices perpétrées durant les années de plomb.


C. Justice et passion :

Partant, le crime perpétré contre la famille d’Ahmed Sebbar se trouve dramatiquement dépassé par un crime contre la société, voire contre l’Humanité. Et c’est là que le rôle de la justice devient impérativement capital. Le réalisateur, Kamal Kamal, semble, à dessein, jouer ironiquement sur l’allégorie judiciaire, dans la mesure où les yeux bandés, qui font allusion à l’intégrité et à l’équité, deviennent, dénotativement, signe de cécité.

A ce propos, tous les efforts du jeune magistrat et de l’avocat sont nuls et non avenus. Le juge et les autres magistrats ont déclaré, à l’unanimité, coupable un homme innocent, et passent, pour ainsi dire, pour de vrais criminels. Le verdict a été dicté par un impératif, à savoir le Devoir. Cette notion, paraît-il, contient dans le film toutes les contradictions de la pratique du Pouvoir, lequel s’oppose aux valeurs humaines. Car, comment se fait-il qu’un homme puisse juger un autre ?

Le discours judiciaire devrait être donc humanisé pour être mené à bien. Il lui faut prendre une âme sœur qui n’est que l’Amour, un concept qui est à même de résoudre tous les problèmes du monde, comme le souligne un marginalisé dans le film. Il est possible de constater qu’effectivement cette notion humaine fait défaut chez le juge, les magistrats, les geôliers, et évidement, le Tortionnaire (Mustapha Jamal). En effet, la femme du juge, Leila, est, dans ce sens, une figure emblématique de cette passion amoureuse et de cette tendance épicurienne, laquelle, grâce à son corps, met en crise ces formes doxologiques. Pour s’en convaincre, il faut rappeler la façon tellement érotique dont elle se comporte, en buvant un jus d’orange, en présence du ministre de la Justice. Aussi aime-t-elle danser et se maquiller de façon incongrue. Sa provocation atteint son paroxysme avec la relation d’adultère qu’elle entretient avec le jeune magistrat !

Et c’est là qu’intervient l’âme de Nizard à travers sa voix, qui, elle, semble apporter une réponse à la question si brûlante de la Peine Capitale. Elle permet, notamment, de faire face à toute forme d’absurdité qui menace l’existence de l’Homme et de stigmatiser le souci de comprendre l’Autre ; faute de quoi, tout le monde est condamné à devenir fatalement criminel.








En somme, « Taïf Nizard » ou l’affaire de Mohamed Sebbar véhicule indéniablement un message à la fois politique et poétique. La voix poétique triomphe on ne peut plus de la méchanceté politique.





Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, samedi-dimanche, 7-8 juin 2003

L’esthétique de l’image dans

L’esthétique de l’image dans
« La Morsure du citron » (1) de Jean François-Amiguet


L’aveugle est quelqu’un qui a les yeux au bout des doigts
Luis BORGES

I. Pour introduire :

Né en 1950 à Vevey, Jean François-Amiguet a réalisé, depuis 1994, une série de films qui varient en durée (court et long) et en genre (fiction et documentaire), dont « La jacinthe d'eau » (1978), « L'écrivain public » (1993) …

L’argument de « La morsure du citron » (court métrage, 2007) se résume dans l’idée qu’un comédien, plein de vie, apprend qu’il va perdre la vue. Par là, le réalisateur pose, à travers la cécité, la question fondamentale du statut de l’être et de l’image.



II. La technique du photogramme :


A. Le récit :
1. la photographie:
De 26 minutes, le film est une série d’images photographiques, qui se suivent selon un rythme varié, que le réalisateur adopte selon les contraintes de la narration. Tantôt lent, il permet au spectateur de se plaire en regardant l’image, comme cadre matériel, en ce que celui-ci désigne les contours d’une réalité. Tantôt accéléré, ce rythme favorise plutôt la contemplation, dans la mesure où l’on est porté par le mouvement que cela crée. L’image fixe devient cela même qui garantit le cinéma. D’autant plus que le réalisateur recourt à des techniques d’illusion, comme le zoom avant-arrière ou le travelling.
Ces fragments fictionnels constituent, de ce fait, un récit où se réunissent tous les ingrédients d’une intrigue, à savoir les personnages (le comédien (Larsen), le médecin, ses amis, le barman), les lieux (cabinet, bar, place publique, passages souterrains).



2. Une logorrhée expressive:
Cette fictionnalisation iconique, elle est soutenue par un texte où le moi se met à nu. En effet, une voix off accompagne le défilement des images en leur conférant logique et harmonie. Ce texte se présente sous la forme d’un monologue polyphonique, car il englobe en lui-même le discours d’autrui, comme le dialogue :


« Docteur, c’est vrai ce que j’ai ?
C’est vrai que c’est à moi que ça m’arrive? ».

Parlant de la trame narrative dans le court métrage, Jean François-Amiguet cite trois constituants : l’exposition, la perturbation et le dénouement. « La Morsure du citron » obéit largement à cette conception. La première phase correspond à une présentation de Larsen menacé par la cécité. La seconde est une série de réactions ou d’affects. La troisième, c’est une prise de conscience.

3. Une pensée psycho-philosophique :
Or, ce texte est une sorte d’introspection, dans la mesure où il permet au récepteur de connaître les sentiments du sujet victime de la cécité, ponctuée de peur, de doute et des souvenirs. Cette perte de la vue amène un tel sujet à mettre le doigt sur l’essence même de l’image. Car, qu’est-ce que voir, en fin de compte ?
Faute de lumière, qui est le pivot de toute activité visuelle, le narrateur s’ingénie à se remémorer le passé : les jeunes en fleur qu’il a connues, les lieux qu’il a habités… C’est dire combien, dans ce cas-ci, il est fort difficile de restituer un « morceau de vie » au moyen d’une image mentale. Les souvenirs si colorés, si parfumés et si bruyants ne sont point des « images nettes », en ce que ceux-là sont la négation même du regard. En recourant à d’autres sens, l’aveugle devient cette « partie » qui est appelée à comprendre le « tout » – dans le double sens du terme : un homme qui porte en lui le monde.



B. Les fonctions de la lumière :
Cette expérience des limites est une sorte de traversée tragique menée par le narrateur. Jean François Amiguet procède par un travail sur les lieux et la lumière. D’abord, le film met en scène deux « couleurs » à la fois symboliques et dramatiques : le noir et le blanc. Et tel le personnage principal, le spectateur fait l’expérience de la cécité, puisque c’est le noir qui l’emporte sur le blanc. Cet exil vers l’intérieur, il est représenté par une série de lieux clos, sombres et labyrinthiques, qui rappellent, sans doute, la descente aux Enfers : tunnels.


C. Un aveugle heureux :
Jean François-Amiguet recourt à une sorte de machine narrative assez rare qui permet de décrire au détail près un univers clos d’un homme qui sombre dans le monde des ténèbres.
Or, Larsen est un acteur, c’est-à-dire quelqu’un qui « aime la vie », comme il le dit lui-même. Loin de se soumettre, il s’efforce de se faire un autre « regard » qui, euphoriquement, prend racine dans son for intérieur. C’est une lumière idéale qui a l’avantage de contrecarrer toutes les affres de l’obscurité et de l’agonie. Car, pour citer le film en le déformant, « ne plus voir, c’est [mourir] un peu » : être impliqué dans un temps plat. Tel Sisyphe, qui a pu prendre conscience des manigances des dieux, Larsen est un aveugle heureux.

Le paradoxe du film, c’est qu’il permet une réflexion sur le rapport assez dialectique de l’ombre et de la lumière et, partant, de la photographie et du cinéma. Tel l’homme, l’image contient notamment deux éléments complémentaires et apparemment contradictoires : noir-et-blanc. Le noir de la cécité et du cadre est cela même qui permet de lire ce qui est illuminé, de même que la lumière permet d’écrire le processus de l’obscurité.

III. Pour conclure :
En se servant d’une couleur radicale, présente dans toutes les formes artistiques (photo, peinture, cinéma), Jean François Amiguet laisse entendre, tel pierre SOULAGES, que le noir est cela même qui fait jaillir la lumière, qui est, en fin de compte, une sorte de triomphe que l’homme remporte sur l’avant-naissance, la cécité et la mort.




Bouchta FARQZAID







































Marges :
1. Ce film a été projeté en séance d’ouverture lors de la 4° édition du court métrage méditerranéen à Tanger.
2. « photo- » = lumière et « graphie » = écriture

« A. K » ou le méta-cinéma

« A. K » ou le méta-cinéma


« A. K » est un documentaire sorti le 22 mars mai 1985 à Paris par le français Chris Marker (71 m). Ce film trace les différentes étapes par lesquelles est passé le tournage le long métrage de « Ran » réalisé par Akira Kurosawa.

Le génie du réalisateur – Chris Maker- nous a donné à voir un reportage incomparable dont la principale visée est non de communiquer des informations, mais plutôt de faire rêver et revivre les premiers moments de la genèse d’un chef-d’œuvre indélébile : Ran.
Cela n’est possible que grâce à un certain nombre de techniques – retreintes mais significatives- qui se résument comme suit :

A. La descente heureuse des dieux sur terre :
En effet, chez le spectateur (averti), le metteur en scène est trop souvent ce « dieu caché » qui tire les ficelles, à l’insu du regard du spectateur. C’est un être qui se sacrifie pour signer un « produit », en vue de l’éterniser (des fois son nom passe très inaperçu dans un générique). Avec « A. K. », le créateur se met à côté de ses créatures pour mener un travail époustouflant quasi égal. L’œuvre nous est présentée, en fait, comme un film auquel prennent part réalisateur, figurants, maquilleurs, cameramen, décorateurs, perchistes…etc.

Veillant à son produit, ce créateur a l’air fort joyeux. Akira Kurosawa dirige ses acteurs d’un geste majestueux et d’un ton serein accompagnés d’un sourire solennel et lucide, marquant une sorte de satisfaction à l’égard film sous forme de toile qui se tisse.


B. La poétique des fragments :

Chris marker a intelligemment procédé par découpage du film en fragments : c’est-à-dire en petites séquences portant chacune un titre, lequel tire racine de la pensée –si poétique et spirituelle- du réalisateur japonais. Ces titres, dont l’esthétique fascine, sont en nombre de « 9 » et se succèdent selon l’ordre suivant :

• Bataille
• Fidélité
• Vitesse
• Pluie
• Laque et or
• Feu
• Brouillard
• Chaos

Ces formes – qui rappellent le haïku – mettent en scène un imaginaire d’un génie : la conception de la fiction cinématographique chez Akira Kurosawa. Elles nous dévoilent les détails les plus fins que le réalisateur accorde à une scène de bataille ou à telle autre…Elles constituent également les thèmes et les fils directeurs qui ont présidé à l’ « accouchement » d’un film tiré d’une pièce tragique, à savoir Le Roi Lear du fameux dramaturge William Shakespeare.

Parlant du cheval, par exemple, Akira dit : « il est porteur de vérité ». Cet animal sacré, auquel il consacré un film UMA, devient dans les films de ce réalisateur un personnage à part entière.

Quant au cinéma, il est, selon ses dires, l’art grâce auquel « il faut montrer ce que l’on a envie de voir ». Il l’oppose, par là, au genre dramatique où le geste est le support de toute communication. La caméra, pense-t-il, est « toute puissante » et bénéficie d’une « ubiquité » indiscutable, en ce sens qu’elle peut accéder à tous les endroits et au moindre détail, si banal soit-il, telle une grimace.

C. La mise en abîme :

Le film de Chris Marker est un langage cinématographique qui s’élabore sur le film d’Akira Kurosawa : images sur des images. C’est que, par souci de formalisation, il est possible de dire que « A. K. » prend forme sur « Ran » : un contenant et un contenu. En somme, il s’agit d’une sorte d’une mise en abîme iconique : Chris Maker filme Akira Kurosawa qui filme.
Le réalisateur premier ainsi que son équipe perdent toute dimension charnière et embrassent celle de la fiction. Autrement dit, ils subissent une espèce de dédoublement et deviennent simples personnages qui se meuvent dans l’univers fictif du film de Chris Marker. Ainsi, toutes les frontières entre fiction et documentaire se laissent estomper.

D. Le spectateur :
Une autre remarque mérité bien d’être notée : c’est que, par le biais du silence qu’actualisent les blancs entre le commentaire ( voix off) et le discours du réalisateur japonais et des acteurs, Chris marker invite le spectateur à s’introduire dans cela même qui lui est présenté.

« A. K. » n’est pas seulement un documentaire, mais aussi une sorte de miroir où « Ran » se réfléchit et se montre en train de se faire avec tout le rite que cela suppose.








Bouchta FARQZAID
AL BAYANE, culture, 14/02/1993.p6

Textes disponibles

Comment avez-vous trouvé l'article?

Powered By Blogger